Une affaire de moutons au XIIIe siècle

 

Élisabeth IMBERT, autrice

Postface : Pierre Thomé | Contributions : Gilles Avocat et René Chenal
Première édition en 2008 / Sarl Alpes Offset Peyron 05600 Guillestre

Texte téléchargeable


Élisabeth Imbert, décédée en juin 2022, est historienne de formation. Elle a été à l’origine, avec Albert Manuel, du musée et de l’association du Patrimoine à Saint-Paul-sur-Ubaye qu’elle a animés pendant seize ans. Mariée à un berger éleveur de moutons né dans une famille vivant dans le village depuis plusieurs siècles, elle est imprégnée de la culture locale depuis une soixantaine d’années. Avec ses compétences d’historienne et sa passion pour la vallée de l’Ubaye, elle a conduit une recherche approfondie pour analyser un manuscrit du Moyen-Âge relatant un procès à Saint-Paul-sur-Ubaye, et faire le lien entre passé et présent.

Ce mémoire est une reprise de la première édition en 2008, en hommage à Élisabeth Imbert et aux bergers et bergères des montagnes.

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Procès d’un conflit d’usage à Saint-Paul-sur-Ubaye (Hautes-Alpes)

Élisabeth Imbert

Introduction : un procès à Saint-Paul-sur-Ubaye en 1287

Un manuscrit, ancien document le plus connu évoquant Saint-Paul-sur-Ubaye, renseigne sur l’un des 01aspects importants de la vie de ce village au Moyen-Âge. Il s’agit d’un rouleau de parchemin de trente centimètres de large sur un peu plus de cinq mètres de long, écrit en 1287 en bas latin lors d’un procès retentissant. Propriété de la commune de Saint-Paul, il est dans un assez bon état de conservation.

Transcrit et traduit par Madame Wojciechowski, grâce à l’initiative de Madame Jacqueline Ursch, directrice des Archives Départementales de Digne, il a fait l’objet de plusieurs recherches, dont un mémoire en maîtrise d’histoire médiévale réalisé par Nicolas Portalier, université d’Aix-en-Provence en 2002.

L’étude qui suit est d’abord destinée aux habitants de ce village et aux personnes intéressées par son patrimoine et sa vie actuelle. Son but est de sortir de l’ombre ce beau document et de mettre en valeur une histoire humaine évoquant un conflit d’usage entre des paysans de Saint-Paul et des bergers venus de plus au sud. Ces derniers conduisaient un important troupeau de moutons vers les pâturages du territoire de la communauté de Saint-Paul. Cela peut sembler un incident plutôt banal, mais son importance est bien réelle puisque la Cour du Comte de Provence s’en est mêlée et beaucoup de personnes ont été amenées à se déplacer dans les difficiles conditions de l’époque pour venir témoigner.

Ce document remarquable a échappé à la destruction et a été conservé précieusement par la communauté de Saint-Paul pendant 700 ans ; il a été déposé récemment aux archives départementales des Hautes-Alpes (cote E. dépôt 193/24). Sa présentation est faite d’après le regard d’une personne qui d’abord le découvre, ensuite essaye de mieux le comprendre dans le contexte du XIIIe siècle, et enfin tente un rapprochement avec le XXIe siècle.

1. Un évènement conflictuel

Saint-Paul, 6 juin 1286 : dix-sept hommes doivent répondre d’accusations et sont à cette fin convoqués dans l’église du lieu. C’est en effet là (ligne 27 du manuscrit) que le tribunal siège. C’était le seul endroit où les habitants d’un village pouvaient, à cette époque, se réunir nombreux. Pour ce faire, une grande toile était tendue entre la nef et le chœur afin d’isoler l’espace sacré.

Ces hommes, pour la plupart paysans, prêtent serment et sont invités à s’expliquer. D’autres personnes, susceptibles d’éclairer le débat, sont également appelées à témoigner. Un notaire tient lieu de greffier. Quel drame a donc bien pu se produire pour que soient dépêchés, sur ordre de la Cour du Comte de Provence, le juge de Seyne (bourg situé entre Embrun et Digne-les-Bains) et les notaires de Barcelonnette ? (La Cour, centre administratif du Comté, est située à Aix-en-Provence).

Dans les faits, il s’agit d’une grave affaire de moutons. L’élevage ovin tient une grande place dans la vie économique et sociale de la communauté de Saint-Paul où pratiquement tout est organisé autour de cette activité d’élevage. Le long manuscrit qui résulte du procès en est un témoignage exceptionnel.

Que s’est-il réellement passé ?

Deux bergers, venus de loin, ont conduit un important troupeau de moutons vers des alpages communaux de Saint-Paul et ont été repoussés par des hommes arrivés en nombre. Ces bergers n’ont pas du tout apprécié l’accueil qui leur a été réservé et se sont plaints auprès de la Cour, car ils avaient reçu de cette dernière, et même de certains seigneurs de Saint-Paul, l’autorisation de venir faire paître sur les riches pâturages de cette communauté.

La Cour n’a pas non plus apprécié cette situation, car le Comte suzerain lève des taxes sur la transhumance, à savoir un droit de péage et le “pasquerium”, redevance importante sur les troupeaux étrangers pour droit de pacage : une brebis sur 45 (ligne 40 du manuscrit).

Les accusés, auteurs de cette violente exclusion, sont interrogés au cours de quatre audiences les 6 et 7 juin, le 29 juillet et le 3 août 1286. Les séances, en présence de nombreux témoins, sont houleuses et font aussi beaucoup écrire les trois notaires qui se relaient.

Le 7 juin, le crieur public (chargé des déclarations officielles) fait, au nom du Comte de Provence, une annonce menaçante : ceux qui désormais se hasarderont à renouveler un tel acte contre des bergers étrangers à la communauté devront payer une amende de 25 livres, ce qui est beaucoup. Les habitants de Saint-Paul ne semblent pas des plus troublés par cette annonce et ils seront une centaine à se rassembler près de l’église lors des prochaines audiences pour manifester leur opposition.

Quelles accusations portent les bergers Pierre Laydet et Raymond Marie ?

Ils expliquent qu’ils ont été fort contrariés par l’accueil qu’il leur a été fait, car ils sont venus en toute bonne foi sur le territoire de Saint-Paul avec l’autorisation de la Cour pour faire paître leur troupeau sur les alpages communaux. Ils sont donc arrivés avec leurs dix-sept “trentaines” de moutons (une trentaine représente le nombre habituel de moutons d’un troupeau familial) et là, plusieurs hommes menaçants les ont chassés par la force. Un certain Pierre Braman se serait même avancé vers eux avec une lance ! En plus, on leur a pris une brebis dégustée ensuite au domicile d’Isoard Ardoyn ! Il s’agit de « moutonner l’aver », pratique coutumière destinée à éloigner les contrevenants [1]. Ils sont repartis par le chemin qui leur a été désigné, la traverse de Tournoux. Ce chemin est pénible et ils ont été très gênés par la nuit. Bref, ces pauvres bergers, mis dans un grand embarras, se plaignent de l’important préjudice qui leur a été causé, aussi demandent-ils au juge d’être sévère.

Que répondent les accusés ?

Quarante “trentaines” de moutons, disent-ils, et non dix-sept comme affirmé par les bergers, sont venues paître sur des alpages de Saint-Paul sans autorisation de cette communauté. Ils les ont donc chassés tout en confisquant une brebis pour la déguster (ligne 80 du manuscrit). C’est de leur propre autorité qu’ils ont défendu leur territoire et leur droit. Ils affirment qu’ils ne le regrettent en rien et qu’ils recommenceront à la prochaine occasion.

Si tous plaident coupables, en ce sens qu’ils reconnaissent les faits, ils se disent également non coupables en expliquant qu’ils sont dans leur droit en faisant valoir deux raisons majeures : leur survie économique et les coutumes de la communauté :

  1. Si des brebis étrangères viennent paître sur les communaux de Saint-Paul, eux-mêmes n’auront plus assez d’herbe pour leurs propres troupeaux, c’est une question vitale. Le Comte, ajoutent-ils, serait également perdant, car si les habitants de Saint-Paul ne pouvaient plus continuer à vivre sur ce territoire, ils finiraient par le déserter et ne paieraient donc plus d’impôts.
  2. Depuis des temps immémoriaux la coutume veut que les troupeaux “étrangers” soient chassés quand leurs maîtres n’ont pas une autorisation de pâturer délivrée par la communauté de Saint-Paul. Cette autorisation n’a été ni demandée ni accordée lors de cet événement, donc il semblait légitime de s’en prendre à des intrus.

Les bergers sont-ils dans leur bon droit ?

Plusieurs constats ressortent du manuscrit :

  • Le troupeau est entré légalement selon le droit officiel de la Cour du Comte de Provence, mais sans l’autorisation de la communauté concernée.
  • Il ne s’agit pas de quelques bêtes venant de communautés limitrophes, mais d’un troupeau important originaire du sud, sa localisation exacte n’est toutefois pas indiquée.
  • Les deux bergers n’ont fait aucune mention à des précédents pour justifier leur installation sur des pâturages communaux de Saint-Paul, est-ce que cela voudrait dire qu’il n’existait pas de jurisprudence connue sur laquelle ils auraient pu se référer ?
  • Il est clair que les paysans de Saint-Paul et les deux bergers ne parlent pas le même langage, les premiers s’appuient sur un droit coutumier fort ancien et les seconds sur le droit civil défini par le Comté de Provence. Les deux se contredisant, et sans compromis possible, un recours en justice devenait indispensable.

2. La grande enquête de 1287 et le jugement

Le juge n’étant pas satisfait par les auditions des accusés et des plaignants, ordonne une enquête complémentaire “pour que sa sentence ait plein effet” précise-t-il (ligne 11 du manuscrit). Est-ce pour donner à son jugement plus de poids auprès de la Cour du Comte dont il peut craindre une réaction négative ?

Un bon avocat pour les accusés de Saint-Paul

Toujours est-il que le 11 juin 1287 Antoine Braman, avocat des accusés, s’exprime à nouveau dans l’église, en présence du notaire Jean Gaydon qui sert de greffier. Son plaidoyer, tout en faveur des agriculteurs et des maîtres de Saint-Paul, va servir de canevas à un questionnaire qui va être soumis à plusieurs témoins directs ou indirects du conflit. Les questions portent essentiellement sur les coutumes de la communauté de Saint-Paul concernant l’acceptation ou le rejet de troupeaux en transhumance : de quand datent-elles ? Qui en est garant ? Qui est habilité à gérer les alpages communaux ? Comment réagissent les habitants de Saint-Paul ?

Les témoins retenus par Antoine Braman (ligne 12 du manuscrit) sont invités à s’exprimer. Ils sont 54, de Saint Paul (14), mais aussi de Tournoux (8), du Châtelard (4), de Meyronnes (3), de Vars (24), et même un de Barcelonnette. Hormis ce dernier, tous viennent donc de communautés limitrophes.

Dans le manuscrit beaucoup de témoignages sont brièvement résumés tant ils se recoupent. Certains ont toutefois été recueillis avec plus d’attention quand il s’agit par exemple de personnalités locales influentes, tels le chevalier Albert, Ponce Cagon, notaire… Ce dernier confirme que les bergers incriminés n’ont pas demandé l’autorisation aux habitants de Saint-Paul. Si cela avait été le cas, il l’aurait su “car lui-même est du conseil” (ligne 200 du manuscrit). Il estime que la Cour du Comte de Provence et les deux bergers doivent être condamnés.

Que disent les témoins ?

Les témoignages, presque unanimes, confirment dans l’ensemble les observations d’Antoine Braman. J’évoque simplement ceux me paraissant significatifs de quelques désaccords :

  • Il ressort une impression de flou quant aux alpages communaux. Â l’exception des paysans de Saint-Paul, les témoins des communautés voisines n’ont pas connaissance de ces “biens communs. Et même Ponce André, de Saint-Paul, ne sait pas “où chacun peut amener faire paître”. Maître Albert déclare que “les pâtures communes ont toujours appartenu aux hommes de Saint-Paul” (ligne 380 du manuscrit). Il évoque “cette terre que l’on dit n’appartenir à personne, et n’avoir jamais été cultivée”.
  • Concernant les dates de début des mesures d’exclusion des troupeaux venant d’ailleurs, les réponses varient beaucoup, cela va de trois ou quatre ans pour certains, à plus de 100 ans pour Raymond Bellon de Meyronnes et Jan Assa de Vars, “Cent ans et plus” est souligné dans le manuscrit, une indication dans la marge indique l’importance de ce témoignage.
  • Arnulphe Graygola de Vars rapporte les “façons barbares” que des hommes de Saint-Paul utilisent pour chasser des troupeaux étrangers. Guillerm Chabran, également de Vars, l’aurait constaté dix ou onze fois. Le terme de “combat” entre bergers et paysans de Saint-Paul est attesté par Maître Albert de Saint-Paul, Jean Vial de Tournoux, Pierre Gaymar de Barcelonnette ; mais il est rejeté par Ponce Cagon et Giraud Robert de Saint-Paul, ce dernier déclare : “c’est inventé, comme d’habitude”. Les autres témoins n’en disent rien.

Le verdict est rendu le 17 août 1287. Le juge Giraud Ferret “ayant vu les défenses et les accusations, absout les accusés, à la suite de l’instruction” (ligne 11 du manuscrit). Les arguments des accusés et des témoins ont donc été probants et les deux bergers sont déboutés. Rassurés, les habitants de Saint-Paul restent donc décideurs de l’usage des alpages de la communauté. Le procès a été long et il est fort à parier que dans les chaumières il a été question de ces événements pendant de longs mois. Et à la Cour d’Aix-en-Provence le jugement a certainement fait l’objet de longues discussions qui vont conduire, dix ans plus tard, à l’édiction d’une Charte pour le « terroir » de Saint-Paul.

3. La Charte de 1297

Elle est conservée aux Archives Départementales des Bouches-du- Rhône. Son contenu découle des événements de Saint-Paul de 1287. En effet, par décision de la Cour d’Aix-en-Provence, un arrangement est signé avec cette communauté et il est décidé “dun échange entre le sénéchal de Provence au nom de la Cour royale et le syndict (le maire actuel) de la communauté de St-Paul du diocèse d’Embrun, par lequel le dit syndict donnera au dit sénéchal les droits que ladite communauté a aux terres et seigneuries des Gleisolles, de Tournoux et de Meyronnes. Et ledit sénéchal donne au dit syndict la faculté de ne mettre ni nourrir aucun troupeau étranger dans le terroir de St-Paul” (Cote B 403). Ainsi la communauté de Saint-Paul a obtenu, dix ans après le procès, ce à quoi elle reste très attachée : la liberté de gestion de ses alpages.

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4. L’évènement dans son contexte du XIIIe siècle

Cadre politique et économique

En cette fin du XIIIe siècle l’Occident médiéval connaît une grande prospérité économique commencée au début du XIIe siècle. Ces deux siècles sont une période d’un relatif calme politique avec la fin des invasions et sans grandes épidémies. La population s’accroît et il faut la nourrir. C’est l’époque où les agriculteurs des Alpes dessinent par leur travail les paysages que nous connaissons aujourd’hui, ils sont les “jardiniers de la montagne”. Par nécessité vitale, ils réduisent la forêt ; le bois, principale source d’énergie, est aussi l’un des matériaux de base pour l’habitat. Ils développent ainsi les surfaces de terres cultivables, souvent pentues et empierrées. Les pierres, ramassées une par une, sont entassées dans des “clapiers(clapiers paysans à distinguer des clapiers d’origine glaciaire) qui existent encore aujourd’hui. Ils creusent des canaux (biefs, béals, bisses…selon les régions) pour irriguer les champs à fourrages.

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En 1232 le Comte de Provence, Raymond Béranger, avait décidé d’affirmer son pouvoir sur le territoire de Barcelonnette en édictant une Charte. Il est difficile de savoir si la vallée de l’Ubaye avait déjà fait l’objet d’un tel projet, mais c’est, semble-t-il, avec cette Charte qu’elle est vraiment rattachée à un pouvoir centralisé. Sur quelles racines locales cette Charte se greffe-t-elle ? Comment ce pouvoir est-il ressenti : lointain, protecteur, pesant ? Il n’y a pas vraiment, à ma connaissance, suffisamment d’éléments pour répondre à ces questions. On sait cependant que les impôts locaux ont pris de l’ampleur, Charles d’Anjou successeur de Raymond Béranger en 1246, sous le nom de Charles Ier., en étant le grand promoteur.

Les impôts

Dans le manuscrit il est question de trois impôts levés par les seigneurs locaux qui se chargent de leur répartition et de leurs utilisations :

  • le pasquerium sur les moutons
  • le pasquerium sur les fromages (pasquerium de caseis), n’existait plus en 1287.
  • les droits de péage : les bergers “fautifs” avaient dû s’en acquitter.

Le Comte étant seigneur local, participe à cette répartition. Suzerain de toute la Provence, il est aussi détenteur du “majus dominium”, c’est-à-dire le pouvoir de décider de la justice, de l’armée, de la circulation des personnes et des biens ; à ce titre, il perçoit donc des taxes supplémentaires et fait appliquer des obligations :

  • la queste : impôt direct (équivalent de la taille, en vigueur jusqu’à la Révolution),
  • le fruit des amendes de haute justice,
  • la cavalcade : obligation de fournir des hommes pour l’armée,
  • l’albergue : obligation de loger et nourrir les troupes du roi.

La population de Saint-Paul au XIIIe siècle

On peut se faire une idée approximative de la population de Saint-Paul à partir du nombre de foyers fiscaux ou feux. En 1319, 192 feux payaient la queste. Sur une base vraisemblable de quatre personnes par foyer fiscal, on obtient 770 habitants, auxquels il faut ajouter les feux non soumis à cet impôt (feux d’albergue et pauvres). On parvient ainsi à une estimation entre 1 000 et 1 500 habitants (les paroisses de Tournoux, vingt-sept feux soumis à la queste, et des Gleyzolles, ne sont pas rattachées à Saint-Paul à cette époque). En comparaison Barcelonnette comprenait 420 feux imposables. (D’après “La démographie provençale du XIIIe au XVIe siècle” par Édouard Baratier)

Une population hiérarchisée

Le manuscrit fait état de plusieurs catégories sociales :

  • Les Domini ou seigneurs, ce sont eux qui lèvent les droits féodaux. Le titre de Dominus peut être également donné à des personnalités locales.
  • Les Dominores ou propriétaires terriens, souvent appelés “maîtres” dans la traduction de Madame Wojciechowski.
  • Les Homines ou paysans. Ils ne possèdent que rarement des terres et doivent alors en louer aux seigneurs moyennant redevances. À Saint-Paul, le Comte de Provence, propriétaire d’un bon tiers du territoire, était le principal bailleur.

Dans le paysage rural montagnard, trois zones à usages différents sont à distinguer

  • Le fond des vallées, parfois étroit et inondable, n’est guère utilisable pour l’agriculture. Des événements récents restent dans la mémoire des Saint-Paulois : les inondations de 1957, avec l’impossibilité de circuler dans les gorges de la Reyssole ; les très importants dégâts causés par les débordements de l’Ubaye dans la nuit du 29 au 30 mai 2008, ou bien encore le débordement du Riou-Sec à l’entrée des gorges de la Reyssole en plein été 2015. Ces événements permettent de se représenter les grandes difficultés que pouvaient rencontrer au Moyen-Âge les habitants de la haute vallée de l’Ubaye en cas de catastrophe naturelle.

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  • Les pentes desservies par des chemins muletiers entretenus par les passages répétés des voyageurs et des cultivateurs. C’est là où se trouvent les hameaux et les terres cultivables.
  • En altitude les alpages pour les estives, non accessibles à l’époque par des chemins : “troisième zone hors des chemins” est-il précisé (ligne 104 du manuscrit). Ce sont les pâturages communs à une Paroisse (village) et parfois convoités par d’autres, comme le procès l’a révélé.

Mais à qui appartiennent réellement les pâturages d’été ? Qui en dispose ? Qui décide de leur utilisation : les paysans de Saint-Paul, la Cour du Comte de Provence, les seigneurs du lieu ? Il semblerait qu’il n’y avait pas de réponse claire avant le procès. C’est sans doute pour mieux justifier auprès de la puissante Cour de Provence sa décision et les conséquences qu’elle aura à l’avenir dans ce type de litige, que le juge a imposé la grande enquête de 1287 conduisant à la Charte de 1297. Et, au fil des siècles, les habitants de Saint-Paul ont donc eu tout intérêt à conserver précieusement le manuscrit du procès comme preuve écrite de leur bon droit.

5. Saint Paul, une communauté forte et solidaire

L’existence de la communauté de Saint-Paul est attestée vers 1200 (cf. l’Atlas historique de Provence, sous la dir. de E. Baratier, G. Duby, E. Hildesheimer | éd. Armand Colin | 1969). À cette époque le Comté de Provence est en pleine réorganisation et de nombreuses Chartes administratives sont promulguées : Seyne en 1223, Barcelonnette en 1232, Selonnet en 1238… Saint-Paul a un conseil : Ponce Cagon, notaire, déclare lors de l’enquête que lui-même est membre “du conseil comme plusieurs autres(ligne 200 du manuscrit). Il précise que si ce conseil joue un rôle certain dans la gestion des pâturages, il s’intéresse aussi à bien d’autres problèmes. Les modes de désignation des membres de ce conseil ne sont pas précisés [2].

La communauté sait gérer les conflits

Les événements relatés par les témoins portent en fait sur trois conflits différents impliquant la communauté de Saint-Paul :

  • avec leurs voisins des communautés limitrophes Il s’agit de simples incidents pour l’utilisation des pâturages communaux auxquels les protagonistes sont manifestement habitués depuis fort longtemps. Ces conflits locaux devaient vraisemblablement se régler par des échanges de bons procédés entre voisins, chacun devant finalement y trouver son compte.
  • avec des bergers venus d’ailleurs pour faire paître dans les alpages d’altitude de la communauté. Dans ce cas, en revanche, le compromis semblait impossible et les paysans de Saint-Paul se sentaient démunis, ce qui peut expliquer leur agressivité.
  • avec le pouvoir central de la Cour du Comte de Provence. C’était le plus risqué car l’adversaire était puissant ; ce qui a sans doute motivé l’importante mobilisation locale pendant le procès.

Les deux derniers conflits se sont terminés à l’avantage de la communauté de Saint Paul. On peut s’étonner de voir les paysans de villages voisins, ceux qui ont été chassés en d’autres temps par ceux de Saint-Paul, venir témoigner en faveur de ces derniers. Mais, si les paysans de Vars, de Tournoux, du Châtelard, de Meyronnes… pouvaient être en conflit avec ceux de Saint-Paul pour l’utilisation des pâturages, ils se sont rassemblés malgré tout face à deux adversaires communs : les bergers “étrangers” et la Cour du Comte de Provence. Cette solidarité est fondée sur une culture et des intérêts économiques locaux à défendre collectivement.

Les paysans et les maîtres de Saint-Paul se sentent chez eux. Ils revendiquent leur territoire, ils le cultivent et le développent, c’est leur richesse et ils en ont tous besoin. Ils veulent décider de l’usage de leur “bien commun”. Ce qui fait que tous les habitants, quel que soit leur statut social, sont mobilisables et c’est leur force. Ainsi, parmi ceux qui ont chassé les bergers “étrangers”, se trouvent un seigneur-maître, Pierre Braman, et un clerc, Giraud Désiré (le clerc travaille dans un office notarial ; il sait écrire et rédiger ; il connaît le latin). D’autres seigneurs défendent également les accusés et tous déclarent que ceux-ci sont dans leur droit. Et si Hugo Ardoyn, l’un des accusés, affirme hautement qu’il ne regrette rien de ce qu’il a fait, c’est qu’il se sait soutenu par tous les Saint-Paulois.

Cette communauté a trouvé un avocat de grande qualité en la personne d’Antoine Braman, dont les plaidoiries ont conduit à l’acquittement de tous, et ont servi de base à la grande enquête de 1287. Et c’est sans doute à Saint-Paul que pour la première fois en Provence est publié un manuscrit rendant compte d’un procès mettant fin à un important conflit d’usage.

6. Le cadre géographique du conflit

Différents témoignages permettent de situer les lieux où les événements se sont déroulés.

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Les alpages recherchés par les deux bergers

Rappelons que ce troupeau comprenait au moins dix-sept trentaines (510 têtes de bétail) selon leurs déclarations, voire quarante (1 200 têtes de bétail) d’après Antoine Braman, l’avocat.

Il ne s’agissait donc pas de l’intrusion du petit troupeau d’un voisin proche, mais de l’arrivée d’une importante transhumance. Ayant besoin de grandes surfaces d’herbage, le troupeau ne pouvait être conduit que dans des alpages de moyenne altitude, c’est-à-dire des estives communales, comme l’ont affirmé plusieurs témoignages, Maître Albert, par exemple, a parlé des “pâtures communes”.

L’origine géographique des témoins venus soutenir les paysans de Saint-Paul, confirme cette localisation. Sur les cinquante-trois témoins presque la moitié venait de Vars ; les “Varcincs” (habitants de Vars) étaient donc très concernés. Ils n’avaient pas du tout intérêt à voir arriver de grands troupeaux transhumants dans des pâturages sur lesquels ils avaient, de leur propre aveu, parfois l’habitude de venir faire paître avec ou sans l’autorisation des habitants de Saint-Paul ! L’affaire s’est ainsi déroulée vers les alpages des vallons de l’Infernet ou du Crachet proches du territoire de Vars. Par ailleurs, d’après les huit témoins de Tournoux, les paysans de cette communauté avaient également un accès relativement facile à ces deux vallons par le chemin de la Traverse et on peut estimer qu’ils utilisaient aussi ces riches pâturages. Les différents cadastres de Saint-Paul précisent également qu’un certain nombre d’habitants de Tournoux étaient propriétaires ou locataires de parcelles au bas de ces vallons et le long du chemin de la Traverse. Ainsi Varcincs et Tournousquins avaient tout intérêt à empêcher la venue de grands troupeaux.

De quels hameaux sont venus les hommes qui ont repoussé les bergers ?

Les deux vallons jouxtent les hameaux du Mélézen sur le territoire de Saint-Paul. Ces alpages étaient considérés comme un “commun” prioritairement réservé à l’usage des paysans de ces hameaux. Ces derniers étaient donc les plus concernés et furent sans aucun doute les premiers à réagir en voyant arriver les deux bergers et leur troupeau.

7. Qu’en est-il aujourd’hui à Saint-Paul ?

En plus de sept siècles les choses ont beaucoup changé dans cette commune. La montagne a bougé avec plusieurs tremblements de terre (le dernier date d’avril 2014 avec une magnitude de 5,3 sur l’échelle MSK) ; des inondations catastrophiques le long de l’Ubaye, ont aussi quelque peu modifié le paysage. Enfin l’environnement économique et social n’est vraiment plus le même :

  • Population réduite à 200 habitants permanents au lieu d’environ 1 500 au XIIIe siècle. Il y a cependant de nombreuses résidences secondaires (210)
  • Le climat a évolué : à la fin du XIIIe siècle débute le “petit âge glaciaire” avec d’importantes chutes de neige entraînant l’extension des glaciers, des inondations, des famines, auxquelles s’ajoute un peu plus tard la peste noire… Alors que le XXIe est nettement marqué par le réchauffement dont les conséquences sur l’agriculture commencent à être perceptibles, et auxquelles le covi19 est venu s’ajouter !
  • Il reste huit agriculteurs-éleveurs (dont quatre en ovins), alors qu’ils devaient être autour de 150 au moment du procès, mais avec des surfaces d’exploitation beaucoup plus réduites que les actuelles.
  • La baisse de l’activité agricole locale a favorisé un important développement du pastoralisme de transhumance avec location des alpages communaux, ce qui permet des recettes fiscales intéressantes pour la commune. Durant les mois d’été différents troupeaux peuvent atteindre jusqu’à 22 000 têtes de bétail, accompagnés par de nombreux bergers professionnels et de quelques patous !
  • Développement du tourisme montagnard : alpinisme, randonnées d’été et d’hiver, ski de fond, pêche…
  • Les conflits d’usage ont changé de nature : si les bergers de la transhumance sont désormais accueillis sans problème dans des limites convenues, en revanche les touristes peuvent être à l’origine de quelques tensions provoquées par la détérioration de clôtures, ou mal refermées, et surtout par les chiens patous devenant agressifs si les randonneurs ne veillent pas à s’éloigner des troupeaux et à les contourner. Le plus souvent ces conflits se règlent à l’amiable, mais des recours en justice existent parfois.

De nombreux touristes, grands admirateurs de la splendeur des Alpes, ignorent tout de la nécessaire présence des “jardiniers de la montagne”, ces paysans en charge avec leurs troupeaux de l’entretien des prés et des alpages de la vallée et en altitude. Cette activité indispensable, pourtant non rémunérée, permet d’éviter des friches aux conséquences catastrophiques : avalanches, incendies… Le territoire de Saint-Paul est classé à 80 % “Natura 2000”, le rapport de cette habilitation fait état d’une “Zone exceptionnelle pour sa qualité et sa diversité liées notamment à une géologie diversifiée (calcaire, calcaire marneux, dolomie, silice, roches vertes…). Ensemble de systèmes herbacés avec une gamme complète de pelouses subalpines et alpines calcicoles. Il offre en outre un complexe de lacs oligotrophes d’altitude et de zones humides de grande qualité.” [rapport Natura 2000]

07Brec de Chambeyron


Notes

  1. Au Moyen-Âge “la confiscation du bétail est une pratique systématique. C’est ce qu’on appelle “moutonner l’aver” en Provence, et plus au nord “pignoter le bétail”. L’enlèvement est presque toujours suivi d’une consommation collective. C’est un véritable rite qui manifeste la solidarité de la communauté contre l’adversaire commun”, Carrier Nicolas, Mouthon Fabrice, Paysans des Alpes : Les communautés montagnardes au Moyen Âge | éd. PUR | 2010 | avant-propos 
  2. Pour en savoir plus, cf. Carrier Nicolas, Mouthon Fabrice, op.cit. « comment les communautés rurales des Alpes ont atteint à la fin du Moyen-Âge à la maturité politique, au point de construire parfois des confédérations capables de faire jeu égal avec les pouvoirs princiers ». (avant-propos)

Postface

Pierre Thomé

Élisabeth Imbert présente avec enthousiasme un manuscrit du XIIIe siècle dont l’intérêt historique est évident, déjà pour les habitants d’une belle vallée des Alpes, ensuite pour son apport à l’actuelle réflexion sur les biens communs et leur gestion, la montagne pouvant être un territoire favorable à leur mise en œuvre.

Le procès évoqué dans ce manuscrit met en évidence une problématique complexe : par qui et comment sont définies les règles d’usage d’un bien commun, ici des pâturages communaux : les éleveurs non-propriétaires réunis dans une organisation qui leur est propre ? Une administration politique centralisée et éloignée des réalités locales, Communauté Économique Européenne, et sa PAC par exemple ? Ou bien encore une structure, type société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), regroupant de façon collégiale éleveurs, élus locaux, administrations d’État ? Ces questions sont abordées par de nombreux agriculteurs et auteurs-chercheurs (cf. Bibliographie “(Biens) Communs et économie sociale et solidaireet auront peut-être un jour prochain des réponses législatives…

Le village de Saint-Paul-sur-Ubaye, au fil des siècles, a toujours gardé une activité pastorale locale avec des agriculteurs qui ont cependant tendance à se faire rares, ce qui est un réel problème, mais aussi avec une importante transhumance d’été originaire de Provence. Pour ses habitants, si cette activité est un apport non négligeable pour l’économie de la vallée, elle l’est aussi pour la préservation d’un écosystème montagnard grâce à la présence de troupeaux à nette majorité ovins. Cependant des écologistes, certainement de bonne volonté mais rarement habitants de la vallée et paysans, font valoir qu’il y a une surexploitation de l’espace agreste mettant à mal ce bien commun qui devrait, selon eux, être maintenu dans son état primaire. Ils considèrent que pendant les trois mois de l’été de trop nombreux troupeaux, non seulement tondent les alpages, mais pèlent littéralement la montagne en n’y laissant que quelques mauvaises herbes dont les bêtes ne veulent pas. De plus les déjections de ces dernières seraient également à l’origine de la mauvaise qualité bactériologique de l’eau potable dans des villages alpins. C’est ce que développe le biologiste naturaliste Pierre Rigaux dans “Le pastoralisme est-il bon pour la montagne ?” [Défi écologique | 2018].

Ces risques ont fait l’objet d’une analyse de l’américain Garrett Hardin en 1968, titrée “La tragédie des communs”. Selon lui, des pâturages laissés en libre accès, conduirait à leur surexploitation par les éleveurs et donc à leur destruction à plus ou moins brève échéance. Il en déduit que seule la privatisation complète de ces pâturages ou leur étatisation, permettrait d’éviter cette tragédie. Quelques années plus tard l’économiste américaine Elinor Ostrom [1] (prix Nobel d’économie en 2009), a démontré le contraire en faisant état de gestions communes d’alpages par des éleveurs rassemblés dans une organisation dont ils ont la maîtrise ; par exemple en France, un Groupement pastoral [“Mise en valeur pastorale”, articles R113-1 à R113-12 du Code rural et de la pêche maritime]. Ces éleveurs définissant eux-mêmes les règles de leur fonctionnement, dont les limites d’accès, pour un usage maîtrisé de pâturages communs, ou communaux quand des collectivités locales en sont propriétaires. Notons ici les proximités syntaxiques entre commun, commune, communauté, ce dernier concept étant utilisé pour évoquer le village au Moyen-Âge (ou paroisse, dénomination utilisée pratiquement jusqu’à la Révolution de 1789 pour désigner le territoire de la commune actuelle).

Mais aujourd’hui, ni les habitants de Saint-Paul, ni les éleveurs de la transhumance estiment qu’ils surexploitent les alpages, bien au contraire ; Élisabeth Imbert en est porte-parole : “Bien que décriés par certains, les moutons sont heureusement bien là, entretenant les paysages de montagne, témoignant de la présence d’une activité pastorale importante, […] jetant comme un pont entre le XIIIe siècle du manuscrit et le XXIe”.

08Parcourant régulièrement ces alpages au début de l’été, j’ai constaté que l’herbe y demeure abondante et fleurie. Les seuls changements peuvent concerner le manteau neigeux en altitude (cf. l’écart entre 2004 et 2021 au même endroit et à la même date), et des ravines aux tracés modifiés au gré des ruissellements (pluie et fonte de la neige), mais peut-être aussi par les déplacements des troupeaux.

Mais revenons brièvement au XIIIe siècle. Si les deux bergers venus du sud n’étaient pas les bienvenus à Saint-Paul, ce n’était pas du fait qu’ils soient étrangers à la communauté de Saint-Paul, mais parce que leur utilisation de pâturages se faisait sans l’autorisation des habitants de cette communauté, ceux-ci revendiquant un droit coutumier d’usage prioritaire. Ce qui fait que ces bergers, bien qu’autorisés par le pouvoir administratif centralisé, ont été considérés localement comme des intrus ou “passagers clandestins”, expression utilisée par Elinor Ostrom pour signifier que dans l’usage collectif d’un bien commun des personnes peuvent s’immiscer plus ou moins clandestinement en cherchant à tirer profit de ce bien au détriment des utilisateurs en droit.

Les loups (espèce protégée), sans doute bien plus nombreux au XIIIe siècle qu’ils ne le sont aujourd’hui dans les Alpes (le département des Hautes-Alpes est cependant fortement impacté par leur présence), peuvent être aussi vécus comme des passagers clandestins recherchant trop facilement et abusivement une alimentation à portée de mâchoires, il faut donc s’en protéger, mais comment ? Les éleveurs et leurs bergers sont confrontés à l’interdiction partielle de tuer le loup (cf. “Plan national d’action 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage” | ministères de la transition écologique et de l’agriculture) et s’ils la transgressent, ils risquent de se retrouver au tribunal ; alors que, “Sans que cela ne traduise une hostilité systématique vis-à-vis du loup, le droit à défendre son troupeau est considéré par les professionnels de l’élevage comme légitime et nécessaire pour diminuer la prédation” [Boisseaux Thierry, Galtier Bertrand,Difficultés du pastoralisme liées au loup dans les Hautes-Alpes” | rapport au Ministère de la transition écologique et solidaire | mars 2020]. Ce même rapport précise : “En 2019, dans le département des Hautes-Alpes, la prédation exercée par le loup a suscité de grands mécontentements au sein de la profession agricole […] La prégnance du loup nuit à une réflexion d’ensemble de la filière sur son organisation et sur son avenir perçu comme incertain”.

Toujours dans ce même rapport la crainte d’une disparition quasi-totale du pastoralisme montagnard est longuement exprimée. Pour les éleveurs “Une telle perspective est incompréhensible dans la mesure où le modèle d’agriculture qu’ils représentent, leur paraît correspondre aux attentes d’une part croissante de la société : une agriculture avec des unités modestes ; une production de qualité, qui privilégie des circuits courts de distribution, qui n’utilise pas de produits phytosanitaires, qui ponctionne une nourriture saine de façon équilibrée dans les alpages et qui contribue à l’entretien et au maintien de paysages menacés par la déprise agricole, et à la préservation d’un certain type de biodiversité.

Les éleveurs et leurs représentants savent cependant que la diminution de leur nombre, dans ce département comme dans beaucoup d’autres en France, depuis plusieurs décennies, n’est pas la conséquence du retour du loup, même si celui-ci contribue à fragiliser ceux qui restent. Certains regrettent que la présence du loup et les problèmes qu’il pose, s’ils sont bien réels, n’occultent d’autres questions tout aussi fondamentales pour la filière et son futur.”

Cette analyse est confirmée par les premiers résultats du dernier recensement agricole qui viennent d’être publiés, l’évolution de la majorité des indicateurs est en effet négative entre 2010 et 2020. Période pendant laquelle la France a perdu 100 000 exploitations agricoles (-21 %) ; il en reste 389 000 sur le territoire métropolitain, avec une moyenne de 69 hectares en surface cultivée par exploitation (14 ha de plus qu’en 2010) ; mais globalement la surface agricole utilisée (SAU), actuellement de 26,7 millions d’hectares (environ 50 % du territoire métropolitain), a perdu 233 000 ha.

Depuis les années 1950 l’agriculture a évolué vers des concentrations à tendance agroindustrielle [2] avec beaucoup moins d’agriculteurs en exercice et à la profession fortement déconsidérée. La politique agricole européenne (PAC), prête une attention toute relative aux “petits” agriculteurs, en particulier ceux qui cherchent à orienter leurs productions vers le biologique. La réforme en cours de la PAC confirme cette tendance : “Nouvelle PAC : l’Autorité environnementale donne un avis négatif sur le Plan Stratégique National [3] [Actu Environnement | 2 novembre 2021]. Lire également la lettre ouverte au président de la République : “Demande de réorientation forte du Plan Stratégique National afin que les aides de l’éco-régime soutiennent les pratiques agricoles en proportion des bénéfices réels pour l’environnement” | signée par 40 ONG et associations | septembre 2021.

L’agriculture montagnarde aurait-elle tendance à emprunter les mêmes chemins ? Il serait en tout cas regrettable que cela l’amène à perde le fil de l’histoire des “jardiniers des montagnes” mise en valeur par l’étude d’Élisabeth Imbert. Alors que, “Au fil des siècles, les communautés pastorales ont forgé une expérience et un savoir uniques sur la manière de maintenir un équilibre subtil entre des ressources fondamentales – l’herbe et l’eau – qu’elles savent valoriser durablement par des activités productives. Elles ont appris d’expérience qu’elles dépendent de la bonne santé du milieu qu’elles partagent avec leurs animaux.” [Turquin Olivier et al. “Une histoire d’avenir” [Grande histoire des alpages | 2017]


Notes

  1. Ostrom Elinor, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles |1990 et 2010 pour la traduction, éd. De Boeck.
  2. cf. Leclair Lucile, “De la ferme familiale à la firme internationale. L’agro-industrie avale la terre” | Le Monde diplomatique / février 2022
  3. La réforme de la PAC prévoit de rendre obligatoire pour chaque État-membre, l’élaboration d’un document unique (le PSN), pour cinq années de programmation, à présenter à la Commission, en vue de son approbation par cette dernière.

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Contributions

Gilles Avocat agriculteur-éleveur (retraité) de brebis, Beaufort (73) | 14 fév.2022

La terre pour qui dans le Beaufortain ?

Très intéressante l’histoire de St Paul, mais au Bersend (hameau de la commune de Beaufort) les prédateurs n’habitent pas bien loin… Il y a quelques décennies seulement, on dénombrait dans le Beaufortain 522 fermes [1] de tailles souvent très modestes, et dont la propriété était la plupart du temps aux mains des paysan-nes qui les faisaient vivre (cela était moins v rai pour les alpages) La reprise de ces fermes était souvent assurée dans le cercle familial restreint, de parents à enfants.
Aujourd’hui ce paysage a totalement changé, il reste 107 fermes environ soit à peu près 158 paysan-nes en comptant les associé-es de GAEC [2], on voit que la restructuration a été très forte ce qui implique que les paysan-nes ne sont plus propriétaires de la totalité des terres qu’ils-elles travaillent, et qu’en majorité ce sont des terres en location.
C’est donc une donnée qu’il faut absolument prendre en compte car l’on voit bien que le monde NON PAYSAN, suivant ses choix, est aussi un acteur incontournable dans la répartition du foncier agricole.
Lorsqu’une ferme s’arrête, c’est un peu de tristesse, comme un souffle suspendu, le temps qui se fige, des femmes des hommes qu’on ne verra plus arpentant champs et pâtures au milieu d’un troupeau qui n’existera plus ; mais ça sera aussi de la convoitise, pour d’autres qui rêvent de grandeur, avec comme souvent le piège de plus d’investissements, plus de matériel, plus de bêtes, et au final besoin de plus de terre.
La transmission d’une ferme quand vient l’heure de la retraite, demande beaucoup de préparation, des années de réflexion sont souvent nécessaires, un temps de travail en commun pour la transmission peut être utile, tout cela dépend beaucoup de la volonté des « cédants ».
Alors, ça marche ou pas ! S’il n’y a pas de reprise que deviendront les terres ? Au final ce sont toujours les propriétaires qui décident à qui elles seront louées, même si l’administration a un rôle d’arbitrage au travers « des autorisations d’exploiter ». Cette décision dépendra beaucoup de l’état d’esprit des propriétaires et s’ils sont du côté des partageux, leur choix se fera avec un regard qui répond au mieux à ces questions :
• Qui en a le plus besoin ?
• Une petite ferme qui verra son assise économique confortée par un peu plus de terre ?
• Une ferme qui donne du travail à beaucoup de monde ?
• Une ferme dont les pratiques sont porteuses d’avenir ?
• Une ferme qui recherche l’autonomie ?
L’agriculture paysanne et l’agriculture biologique peuvent donner de vraies réponses à ces questions.
Ou alors … alors…, se laisser porter par la pensée libérale conservatrice, qui fera rentrer d’autres critères comme : « Ah on est bien un peu parent » ou encore « s’ils sont gros c’est qu’ils sont compétents, qu’ils savent travailler… » Dans ce cas, on verra encore des grosses fermes s’agrandir, et être confortées dans leur fuite en avant… On voit donc bien que du côté des propriétaires leur choix peut vraiment être déterminant et une pensée collective pour aborder ces problématiques pourrait être intéressante pour demain.
Un départ à la retraite récent a démontré que des changements de locataires se sont faits sans débat collectif, avec des situations de pression entre paysans, et au final une répartition du foncier qui n’est pas allé à celles ou ceux qui en ont le plus besoin.
Du point de vue des paysan-nes il n’y a pas de structure locale collective existante, mais des pistes pourraient être explorées, comme la création d’une inter-syndicale, avec par exemple la participation du Groupement inter-communal de développement agricole [3], des représentants des communes… qui pourraient avoir un rôle d’arbitrage. Même si ce type de démarche n’a pas de réalité officielle aujourd’hui, cela pourrait être l’occasion de créer un espace commun aussi bien aux propriétaires qu’aux locataires.
Ainsi nous pourrions arriver à considérer que la terre devienne un jour un bien commun malgré des usages différents. L’expérience de la Foncière « Terre de liens », qui achète des terres pour les louer à des agriculteurs et agricultrices qui veulent s’installer, est un exemple qui va bien dans ce sens. Et cela introduit que l’alimentation ne peut plus rester uniquement dans la sphère paysanne et devienne un enjeu global de société.


Notes

  1. 522 fermes en 1971 et 806 en 1955 source : « Évolution des systèmes d’exploitation en Beaufortain » RGA (recensement général agricole)
  2. GAEC : Groupement Agricole d’Exploitation en Commun. Source : Chambre d’agriculture, estimation 2018-2019
  3. GIDA du Beaufortain : antenne de la chambre d’agriculture ; les techniciens y tiennent des permanences dont secrétariat des abattoirs, service de remplacement, CUMA.

René Chenal, agriculteur-éleveur (retraité) de bovins, à Granier, Versant du Soleil la Côte d’Aime (73) 

Qu’en est-il du pastoralisme montagnard en Tarentaise ?

« Une affaire de moutons » est un document émouvant de l’histoire montagnarde. Pour ce qui est du procès, du rejet des bergers venus du sud sans doute au service de riches propriétaires, de l’abus de pouvoir des puissants régionaux et de leurs relais locaux (pléonasme), rien que de très ordinaire. Le monde est monde.
On peut comprendre ces communautés montagnardes qui ont ouvert, dans ces territoires aux ressources limitées et au fil des siècles, à force de travail collectif, les pâturages de l’étage alpin en les gagnant non sur la forêt mais sur les ligneux (plantes à tiges en faisceaux, type arcosses ou aulnes verts ; sont vite envahissantes). Ils en ont fait des communs tellement éloignés des égoïsmes des habituels exploiteurs qui de tout temps ont parasité l’histoire des hommes. La survie des populations paysannes, nombreuses en cette fin du XIIIe avant d’être dramatiquement réduites par la peste noire, exigeait de préserver les terres à foin et à céréales situées en-dessous des forêts. Surcharger ces terres avec les troupeaux indigènes aurait signifié entamer leur potentiel, d’où les estives.
Aujourd’hui, la situation sur les alpages à ovins serait moins tendue. La production, grâce à l’investissement millénaire, reste, pour l’instant encore, abondante mais les ouvriers de moins en moins nombreux.
Quant à la situation du pastoralisme à ce jour dans les Alpes du Sud, qu’en serait-il si elles n’accueillaient pas les troupeaux de la plaine ? Ils valorisent, aux côtés des troupeaux locaux devenus plus rares, les pâturages, qui, sinon, seraient dégradés par l’envahissement des ligneux et autre végétation de fermeture.
Et sur l’autre point évoqué par Pierre Thomé, quel procès faire à l’envahisseur (le loup) revenu en cette fin de millénaire, lui qui attire de la part des éleveurs ou de la part de ses adeptes le même rejet ou la même position de défense.
Pour les éleveurs, n’existe plus désormais, la paix et la relative sérénité qu’ont connues bergères, bergers et troupeaux au cours du siècle dernier. Et cela avec des conséquences qu’ignorent souvent les défenseurs inconditionnels du prédateur. Il est pourtant essentiel, dans ce domaine comme dans d’autres, d’analyser l’ensemble des répercussions sur le vivant des positions prises parfois hors d’une connaissance précise du contexte global :
− Conséquences sous évaluées du stress permanent des bergers, bergères et animaux
− Angoisse ou éloignement des visiteurs sur les parcours alpins par crainte des gardiens nouvellement introduits par obligation réglementaire
− Coût indécent des mesures de protection
À titre d’exemple (local mais l’universel est le local sans barrières), ce qui s’est produit sur le territoire de nos villages de Haute Tarentaise :

  • Les troupeaux ovins locaux ou accueillis, venus du Sud étaient, au cours du XXe siècle, étaient laissés en libre pâture, ce qui n’excluait pas le gardiennage, dans les sommets non valorisés par les vaches ou les génisses. Libres et dispersés, ils pâturaient les zones les plus fragiles, les plus pentues et les plus éloignées, de jour comme de nuit à la fraîche, sans grand danger puisqu’ils se déplaçaient sans les risques que fait courir une conduite groupée contraignante. Dans leurs déplacements libres, ils traçaient, à l’identique des courbes de niveau, des milliers de chemins de traverse tellement appréciés par les randonneurs, et qui, l’hiver, retenaient la neige dans ces pentes raides. Ils choisissaient la flore la meilleure dont ils dispersaient les graines dans leurs déjections, sur l’ensemble du pâturage. Ajouté à cela, les repos, sur de multiples replats individuels, répartissaient idéalement la fumure, évitant la stérilisation des zones les plus délicates que sont sommets et pentes lessivés par les orages et le ruissellement de la fonte des neiges. Mais en vingt ans :
  • Les propriétaires des petits troupeaux locaux qui les gardaient par passion du patrimoine ou comme
    activité complémentaire, ont abandonné face aux attaques du prédateur.
  • Les éleveurs professionnels ont dû se soumettre à la conduite dictée par la présence des loups qui impose celle des “réglementeurs”, qui sont aussi les relais des payeurs que nous, heureusement solidaires, nous sommes tous !
  • Non seulement surveillance ou accompagnement mais guidage des troupeaux, c’est à dire déplacements contraints souvent avec chiens, d’animaux regroupés, donc risques majeurs de chutes, parfois collectives, dans les pentes raides, s’il y a affolement. Et, en conséquence, choix de guidage des troupeaux vers des zones à moindre risque, surpâturage éventuel de ces zones, abandon des sommets et des fortes déclivités où, pourtant, la flore est meilleure parce que plus variée et souvent plus tardive. Et fin de la pâture à la fraîche donc d’un certain bien-être animal. Conditions de travail des bergères et bergers largement détériorées.
  • Parcs de nuit obligatoires, à la surface nécessairement réduite. Sur des replats bien sûr, rares par nature en montagne et donc surchargés en fumure et piétinement, au fil des années, et définitivement impropres à la pâture. Fumure trop concentrée et donc néfaste aux dépens de l’ensemble de l’alpage.
  • Parcs souvent installés dans les zones basses, les bergères et bergers ne disposant pas d’hélicoptères au quotidien pour le transport des filets électrifiés vers les sommets, et leurs conditions de vie et de travail étant déjà suffisamment rudes (qui sait, avec des drones les choses peuvent évoluer…)
  • Chemins de traverses beaucoup plus rares qui se comblent, ne retiennent plus la neige et, pour les zones de grand passage, cheminements plus profonds qui cèdent en retenant des volumes de neige plus importants et provoquent des ravinements sans précédents.
  • Chiens de protection qui n’ont pas toujours le sens des nuances.
  • Stress permanent des bergères, bergers et des troupeaux avec, pour conséquences, la raréfaction des vocations et la diminution des résultats économiques. Sans compter le drame humain face aux atteintes du vivant et, cela se conçoit parfaitement, du vivant proche tel que le troupeau et le patrimoine. 

Dans nos alpages, les bergères et bergers, les troupeaux ne sont pas là en prédation de passage. Ils offrent un surcroît de vie, une permanence homme et animal, une valorisation du territoire qu’aucun autre système ne peut apporter. Ils sont, dans nos sommets, à l’été, lumière au petit matin et à la nuit qui tombe. Ils poursuivent l’histoire multimillénaire de l’élevage nomade dans un monde que l’enclosure menace et où elle sévit de plus en plus en particulier dans l’élevage mais aussi chez nous humains. Cette histoire est patrimoine irremplaçable de l’humanité.


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Climat, réchauffement… changer la vie ?

haikus

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Les préoccupations liées au climat — “Ensemble des circonstances atmosphériques et météorologiques d’une région, d’un lieu du globe” [2021 Le Grand Robert de la langue française] — ne datent pas d’aujourd’hui. Homo depuis qu’il est sapiens se représente la menace de changements climatiques d’envergure pouvant mettre en péril ses moyens de subsistance. Aussi regarde-t-il souvent le ciel avec inquiétude, allant parfois jusqu’à l’implorer d’être clément en le sacralisant. Il va mettre longtemps à comprendre ce qu’est le climat, et encore plus à saisir quelle est sa part dans les bouleversements climatiques que nous vivons actuellement soit avec beaucoup d’inquiétude, soit avec fatalisme…

Turnerlire également : “Quand les œuvres d’art nous aident à comprendre le changement climatique” [Pauline Petit, France Culture | 9 mars 2020]

Au début du XIXe siècle, William Turner réalise “Coucher de soleil écarlate” (vue partielle) après avoir observé à Londres des couchers de soleil aux couleurs inhabituelles : rouge très vif et jaune Sahara. Comme tout le monde, il ignore les causes de l’évènement. Elles seront connues bien plus tard grâce aux découvertes de la volcanologie : la gigantesque éruption du Tambora en Indonésie projette très haut dans l’atmosphère des tonnes de particules volcaniques et de gaz constituant tout autour de la terre un voile filtrant pendant de longs mois les rayons du soleil. Si la seule conséquence en avait été des couchers de soleil plus colorés permettant à Turner de peindre de superbes tableaux, on pourrait s’en réjouir, mais en fait ce fut la grande catastrophe mondiale d’une année sans été en 1816, à l’origine de famines, de maladies, de soulèvements populaires et de millions de morts. Homo sapiens eut bien du mal à s’en remettre. [cf. L’Année sans été. Tambora 1816, le volcan qui a changé l’histoire, Gillen d’Arcy Wood | 2016 | éd. La Découverte]. À ces mêmes dates, la révolution industrielle prend son essor avec un recours massif au charbon et au pétrole, nouvelles sources d’énergies glorifiées. Mais Homo sapiens ne s’en représente pas les méfaits, ni les limites quantitatives, ou ne veut pas les admettre, et ce n’est guère avant les années 1970 que les alertes vont débuter.

Le rapport “Les Limites de la croissance” ou “Rapport Meadows” aura 50 ans en mars 2022 ! Il serait surprenant que cet anniversaire symbolique donne lieu à commémoration officielle. Il semble en effet que les enseignements de ce rapport sur les risques d’épuisement de la planète Terre aient mis du temps pour commencer à être entendus par les sphères internationales qui décident de la vie politique et économique du monde, et dont le premier référentiel, pour ne pas dire le seul, est la croissance se déclinant en PIB [cf. Le PIB nous trompe énormément, Céline Mouzon | Alternatives économiques N°405 | octobre 2020]

Pourtant dès 1970, à la demande du select “Club de Rome” “quatre jeunes mousquetaires” rassemblés autour de Jay Forrester, les mousquetaires_1972professeur à l’Institut des Technologies du Massachusetts et spécialiste des systèmes dynamiques complexes, ont pour mission « d’analyser les causes et les conséquences à long terme de la croissance sur la démographie et sur l’économie matérielle mondiale » et d’évaluer si les politiques actuelles conduisent vers un avenir soutenable.

Pendant près de deux ans, ils amassent des données sur l’économie, la démographie, la pollution, l’état des ressources non renouvelables, les croisent (les ordinateurs de l’époque sont très loin de l’efficience des actuels !) les juxtaposent… et démontrent que la croissance exponentielle, telle qu’elle est et telle qu’ils la projettent en probabilités, conduit à une catastrophe climatique et écologique dans les 50 années à venir. Le rapport, sous forme d’un livre de 125 pages, est remis en mars 1972 aux dignitaires du Club de Rome. Il a l’effet d’une bombe médiatique et politique ; traduit en de nombreuses langues, son tirage atteindra dix millions d’exemplaires, y compris la nouvelle édition en 2004 actualisée et complétée sans que les conclusions en soient changées. Pour en savoir plus :

  • Comprendre le rapport Meadows sans l’avoir lu ! Commentaires de Jean-Marc Jancovici | 2003
  • Les limites de la croissance ( un monde fini). Le rapport Meadows, 30 ans après, Dennis Meadows et al. | 2004 | 2012 pour la traduction en français | éd. rue de l’Échiquier
  • Développement économique et contraintes environnementales : le rapport Meadows 36 ans après sa parution, Emmanuel Risler (INSA Lyon) | Planet Terre | octobre 2008
  • Sécuriser un nouveau pacte pour les personnes, la nature et le climat | Club de Rome | 2021

Doit-on cependant admettre que rien n’a été fait depuis 1972, tel que le laisse entendre Olivier Pascal-Moussellard dans Télérama (N°3711, 24 février 2021) : « Avec enthousiasme, ils (les quatre chercheurs) arpentent le monde pour convaincre les décideurs d’agir. Lesquels décident de ne rien faire ! […] “Bravo, vous nous avez convaincus. Maintenant, expliquez-nous par quel miracle nous pourrons être réélus si nous faisons ce que vous dites ?” Un dirigeant européen. »

Tout dépend du sens que l’on entend donner au FAIRE. S’il s’agit de conférences, colloques, alertes, rapports de toutes sortes, alors beaucoup a été fait, en revanche s’il s’agit de décisions, ce serait plutôt le registre de l’indécision internationale et nationale qui semble déterminant, la réaction du député européen pouvant en être un symbole !

Mais entre 1972, avec : “Limites de la croissance” et la “Conférence des Nations-Unies sur l’environnement” (16 juin à Stockholm), et 2021 avec : la “Convention citoyenne pour le climat” et le projet de “loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets”, que s’est-il passé ? Beaucoup de louables intentions ont été exprimées à tous les niveaux politiques mais sans vraiment de décisions contraignantes ; sauf peut-être à Paris en 2015 lors de la COP 21, l’accord qui en a résulté se voulant historique, mais la suite l’est sans doute moins ! Je propose de découvrir ou redécouvrir en partie cette histoire avec un recensement légèrement commenté de livres, conférences, rapports, articles, la plupart téléchargeables, dans une présentation où lecteurs et lectrices pourront puiser ce que bon leur semble. Ces documents sont classés ainsi : Changement climatique et biodiversité / le PNUE des Nations-Unies : Conventions, protocoles, sommets…,  COP, GIEC, autres expertises /  Europe, France et changement climatique /  Jeunesse pour le climat / Climat et économie : croissance, décroissance ? / changement climatique et agriculture, alimentation, eau, forêts… /  L’Affaire du siècle ou le recours en justice / Convention Citoyenne pour le Climat et projets de lois /  Et maintenant ? 


Changement climatique

“Désigne l’ensemble des variations des caractéristiques climatiques en un endroit donné, au cours du temps : réchauffement ou refroidissement.” [Actu-environnement]     Qu’en est-il des changements climatiques dans l’histoire et aujourd’hui ? Rôles des glaciers et des courants marins dans l’évolution du climat ; menaces pesant sur la biodiversité.

  • bandeau_1Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique (XVe– XXe siècle), Jean Baptiste Fressoz, Fabien Locher | éd. du Seuil | 2020
  • Planète blanche. Les glaces, le climat et l’environnement, Jean Jouzel, et al. | éd. Odile Jacob | 2004
  • Quel climat pour demain ? Quinze questions-réponses pour ne pas finir sous l’eau, Jean Jouzel | éd. Dunod | 2015
  • Les enjeux géopolitiques du réchauffement climatique, cartographie | Major Prépa | 28 oct. 2019
  • Climat, parlons vrai, Baptiste Denis, Jean Jouzel | éd. François Bourin | 2020
  • Inégalités mondiales et changement climatique | Céline Guivarch, Nicolas Taconet, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Inégalités sociales et écologiques. Une perspective historique, philosophique et politique | Dominique Bourg, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Quelle justice climatique pour la France ? | Jean Jouzel, Agnès Michelot, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Pollution de l’air : coût économique et financier | Sénat | 2015
  • Dérèglement climatique à l’horizon 2050 | Sénat | rapport-2019
  • Pollution plastique : une bombe à retardement ? | Sénat | 2020
  • La colossale empreinte carbone des banques : une affaire d’État | Les Amis de la terre et Oxfam | novembre 2019
  • Droit dans le mur ! L’industrie automobile, moteur du dérèglement climatique | Greenpeace | 2019
  • Qui sera le pire boulet du climat ? | Greenpeace | 2020
  • Changements climatiques : causes, conséquences et solutions | Oxfam France | 2021
  • Déclaration sur l’état du climat mondial | OMM | 2019
  • Unis dans la science. Compilation multi-organisationnelle d’informations sur la science du climat | OMM | 2020
  • Stratégie d’adaptation aux changements climatiques : étude juridique comparative des villes de Lyon et Montréal | Emma Novel, mémoire master 2-université Jean Moulin Lyon |2020
  • Notre avenir sur terre. Perspectives Scientifiques sur la Planète et la Société | Future Earth | rapport-2020
  • Nouvelles projections climatiques de référence | DRIAS-Météo-France | 2020
  • Un sommet mondial pour remettre le climat à l’agenda politique | Actu-Environnement | 14 décembre 2020
  • 2020 est l’une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées | Organisation Météorologique Mondiale – ONU | 15 janvier 2021
  • Le Gulf Stream ralentit, vers un refroidissement brutal de l’Europe de l’ouest ? | Christophe Magdelaine, Notre Planète | 26 février 2021
  • Changement climatique: à quoi ressembleront les hivers parisiens ? | Météo France | 2 mars 2021
  • Sibérie, futur grenier à grains du monde? | Jean-Jacques Hervé, Hervé Le Stum, club Demeter | 2021
  • Défendre les sols pour nourrir le monde | Christian Valentin | club Demeter | 2021
  • Chiffres clés du climat, France, Europe et Monde | SDES-ministère de la transition écologique | édition 2021
  • Éclairer le climat en France jusqu’en 2100 | Météo France | février 2021
  • Pourquoi une vague de froid ne remet pas en question le réchauffement climatique | Gary Dagorn, Olivier Modez, Le Monde | 10 février 2021
  • Analyse du plan de vigilance climatique de 27 multinationales françaises | Notre affaire à tous | 8 mars 2021
  • La calotte glaciaire du Groenland a déjà fondu au moins une fois au cours du dernier million d’années | Audrey Garric, Le Monde | 15 mars 2021 | rapport PNAS en anglais
  • Changement climatique : ralentissement sans précédent du Gulf Stream | David Salas y Melia, Météo France | 22 mars 2021
  • Inondations, pics de chaleur : comment aménager le territoire face au réchauffement climatique ? | Chloé Cambreling, France Culture, La question du jour | 26 juillet 2021

Biodiversité : “Espèces (micro-organismes, espèces végétales et animales) présentes dans un milieu” [2021 Dictionnaire Le Robert]

  • Écosystèmes et bien-être humain : la désertification | ONU-Évaluation des écosystème pour le millénaire | 2005
  • Méthodologie des scénarios de la biodiversité et des écosystèmes | IPBES | 2016
  • Rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques | IPBES |2019
  • Biodiversité : bilans annuels de l’ONB | 2019 | 2018 | 2017 | 2016 | 2015 | 2014
  • Six questions sur la biodiversité en France | rapport ONB | 2020
  • Les extinctions massives de la biodiversité | Christophe Magdelaine, Notre-Planète.info | 2020
  • Sur Terre, la masse de l’artificiel égale désormais la masse du vivant | Joël Chevrier, The Conversation | 26 janvier 2021

Nations-Unies, action climat : PNUE

“Paix, dignité et égalité sur une Planète saine : Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) est l’entité du système des Nations Unies désignée pour répondre aux problèmes environnementaux aux niveaux régional et national. Le PNUE promeut la mise en œuvre cohérente de la dimension environnementale du développement durable; il assure la défense de l’environnement mondial.” [ONU] Pour quels résultats ?

bandeau_2Conventions, protocoles, sommets…

Conférences des parties, COP

Ces conférences annuelles s’inscrivent dans la Convention cadre sur les changements climatiques de 1992, pour l’actualiser et décider des actions à mener pour atteindre les objectifs fixés par la Convention

  • COP-21 : L’Accord de Paris | décisions adoptées | 2015
    • Notre analyse de l’accord de Paris | France Nature Environnement | 2015
    • L’accord obtenu à la COP21 est-il vraiment juridiquement contraignant ? “Si ce texte, à valeur de traité international, ne prévoit pas de mécanisme de sanction, il comporte bien de nombreuses obligations juridiques de résultats ou de moyens” | Audrey Garric, Le Monde | 14 décembre 2015
  • COP 22 : Conférence de Marrakech. “Le climat se réchauffe à un rythme alarmant ”| 2016
    • 22 mots pour comprendre la COP 22 de Marrakech | Audrey Garric et Pierre Le Hir, Le Monde | 2016
  • COP-23 : Conférence de Fidji-Bonn. Rechercher des résultats | novembre 2017
    • Ce qu’il faut retenir de la COP23 | Marie Adélaïde Scigacz, FranceInfo | 18 nov. 2017
    • Fin de la COP 23 : la planète brûle, les diplomates tournent en rond | Marie Astier, Reporterre | 18 nov. 2017
  • COP-24 : Conférence de Katowice. Évaluer la réalisation de l’Accord de Paris | 2018
    • La COP 24 sauve l’Accord de Paris, mais pas plus ! | Dorothée Moisan, Reporterre | 17 déc. 2018
  • COP-25 : Conférence de Madrid. Faire le point sur l’application de l’Accord de Paris | 2019
    • la douche froide | Lola Vallejo, Alternatives économiques | 16 déc. 2019
    • Les négociations internationales sur le climat s’enlisent | Alexandre Reza Kokabi et Baptiste Langlois, Reporterre | 7 déc. 2019
  • COP-26 : prévue en 2020 à Glasgow, a été reportée en novembre 2021 .dans la même ville | ONU
  • Climat : un sommet de l’ONU pour agir, et après ? | Claudio Forner, ONU info | 15 octobre 2019
  • Comment osez-vous ?” Greta Thunberg à l’ONU | France Inter | 24 septembre 2019
  • L’ONU réclame des solutions concrètes dès maintenant pour mettre fin à la crise de l’eau dans le monde | ONU info | 18 mars 2021
  • “Adoption du pacte de Glasgow pour le climat à la COP26 : une dynamique à poursuivre”, Ministère de la transition écologique | 15 novembre 2021
  • COP26 conférence de Glasgow, “Négociations climatiques : une COP26 encourageante mais loin du compte”, Sénat | décembre 2021 | rapport d’information complet / synthèse

Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat

Le GIEC a été créé en 1988 “en vue de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade”. Il dépend de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) organes de l’ONU.

  • bandeau_3Une expertise collective sur le climat : le fonctionnement du GIEC | Jean Jouzel, revue Études | juin 2015
  • Changements climatiques, aperçu général| rapport-1990
  • Changement de climat, seconde évaluation | rapport-1995
  • Changements climatiques, bilan| rapport-2001
  • Préservation de la couche d’ozone et du système climatique planétaire | rapport-2005
  • Changements climatiques, bilan | rapport-2007
  • Sources d’énergie renouvelable et atténuation du changement climatique | rapport-2011
  • Gestion des risques de catastrophes et de phénomènes extrêmes pour les besoins de l’adaptation au changement climatique | rapport spécial-2012
  • Changements climatiques, les éléments scientifiques| contribution2013
  • Changements climatiques, incidences, adaptation et vulnérabilité | rapport-2014
  • Scénarios d’émissions | rapport spécial-2018
  • Changements climatiques, réchauffement planétaire de 1,5°C | rapport-2019
  • Changement climatique et terres émergées | rapport spécial-2020
  • Changement climatique | sixième rapport-2021
  • « La crise climatique s’aggrave partout, à des niveaux sans précédent, alerte le GIEC » | Audrey Garric, Le Monde | 9 août 2021
  • « 10 points clés pour comprendre le 6e rapport du Giec » | Météo France |  9 août 2021

Autres expertises

  • Déclaration Universelle des Droits de la Terre Mère | Conférence Mondiale des Peuples contre le Changement climatique | Cochabamba, 22 avril 2010
  • Conséquences géostratégiques du dérèglement climatique. Rapport d’information | Sénat | octobre 2015
  • Changement climatique, l’enjeu géopolitique majeur de l’anthropocène | Bastien Alex, IRIS | nov. 2015
  • Le changement climatique c’est aussi de la géopolitique | Jean-Michel Valantin, France Culture | 25 avril 2018
  • Le cadre international de l’adaptation au changement climatique | Vie publique | mars 2019
  • Total, la stratégie du chaos climatique | Les Amis de la Terre | mai 2019
  • Les éco-intellectuels : 100 penseurs pour comprendre l’écologie | France culture | 29 novembre 2019
  • Impact du changement climatique sur l’extension géographique des risques sanitaires | ODC – IRIS | septembre 2020
  • Projections climatiques pour l’adaptation de nos sociétés| DRIAS ministère de la transition écologique | 2021
  • Stress-tests climatiques par scénarios : de l’analyse des risques à la modélisation | Florian Jacquetin, Ademe | 2021
  • Transition écologique et transition sociale | Ademe | janvier 2021
  • Pourquoi parle-t-on de transition écologique ? | Catherine Larrère, The Conversation | 14 février 2021
  • Quatre domaines prioritaires d’action pour la sécurité climatique | ONU. Conseil de sécurité | 23 fév. 2021
  • “À propos de nous” Alliance des petits États insulaires défendant les intérêts climatiques de 44 pays. | Aosis | 2021
  • Faire la paix avec la nature | PNUE | 2021

Europe, France et changement climatique

L’European Green Deal est un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but primordial de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050.

  • bandeau_4Appel de Hanovre des maires européens | 3e Conférence européenne des villes durables | 2000
  • Pacte vert pour l’Europe : être le premier continent neutre pour le climat | Commission européenne, rapport / annexes | 11 décembre 2019
  • Plan d’investissement pour une Europe durable | Commission européenne | 14 janvier 2020
  • Stratégies et objectifs climatiques | Commission européenne | décembre 2020
  • Accord UE-Mercosur : Risques pour la protection du climat et les droits humains | Thomas Fritz, Greenpeace et al. | 2020
  • Green deal : l’économie sociale, vecteur de transition écologique inclusive | Observatoire européen de l’ESS | février 2020
  • Le changement climatique. Fiche technique | Parlement européen | 2021
  • Charte constitutionnelle de l’environnement  France, votée en 2005 [ Préparation en commission (2003)
  • Les lois Grenelle (1 et 2) Transition énergétique pour la croissance verte | Ademe | 2009-2010
    • Loi N°2009-967 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement | Journal officiel | 3 août 2009
    • Loi N° 2010-788 portant engagement national pour l’environnement | Journal officiel | 12 juillet 2010
    • La politique de l’environnement depuis le Grenelle | Vie publique | 31 juillet 2019
  • Montagnes et transition énergétique | UICN | 2013
  • Solutions fondées sur la Nature pour les risques liés à l’eau | UICN | 2019
  • La protection de l’environnement, objectif de valeur constitutionnelle | Conseil constitutionnel | 31 janvier 2020
  • Dans nos communes, la nature c’est notre future ! | France Nature Environnement | 2020
  • Énergies, une transition à petits pas | Pop’sciences-mag N°7 | novembre 2020
  • Les Français et l’environnement en 2021 | Agir pour l’environnement | décembre 2020
  • Observatoire des objectifs régionaux climat-énergie | Réseau Action Climat | janvier 2021
  • Trafic aérien : empêcher le redécollage des vols courts | Greenpeace | 2021
  • Énergie, climat : la transition est-elle vraiment en panne en France ? | Patrick Criqui, Carine Sebi, The Conversation | 14 février 2021
  • « Le réchauffement climatique doit-il être spectaculaire pour mobiliser ? » | François Saltiel, France Culture | 9 août 2021 

“Jeunesse pour le climat”

  • Le rap peut-il faire le lien entre le climat et les quartiers nord de Marseille ? | Barnabé Binctin, Reporterre | 12 novembre 2015
  • Greta Thunberg exhorte les eurodéputés à passer à l’action | Parlement européen / discours | 16 avril 2019
  • Youth for Climate France : Valeurs et objectifs du mouvement | Charte de Grenoble | 2019
  • Charte d’engagement des associations étudiantes en faveur de l’organisation d’événements écoresponsables | REFEDD | 2019
  • Lettre aux professeurs et au personnel des établissements d’enseignement de France | Youth for climate | février 2020
  • Une nouvelle initiative pour la justice climatique : L’Accord de Glasgow | Youth for Climate France | 3 novembre 2020
  • Les étudiants face aux enjeux environnementaux | REFEDD | 2020

Climat et économie. Croissance, décroissance ?

“Sans effort volontariste, les changements du climat provoqués par les émissions de gaz à effet de serre pourraient modifier de manière inédite le cadre de la vie humaine. Les effets économiques de l’inaction climatique sont difficiles à prévoir avec précision mais le consensus scientifique conclut à un fort impact négatif, avec un risque d’effets aggravants non anticipés et de fortes inégalités par régions et secteurs”. [Ministère de l’économie et des finances, Trésor-éco N°262, juillet 2020]

  • bandeau_5Conséquences économiques à long-terme du changement climatique, Joffrey Célestin Urbain | Économie et prévision N°185 | 2008
  • Planète vivante : Soyons ambitieux | WWF | rapport-2018
  • Résilience et changement climatique | CARE | 2018
  • Réconcilier l’industrie et la nature | Jean Gadrey, Le Monde diplomatique | juillet 2019
  • Climat et inégalités : Plaidoyer pour un budget vert et juste | Réseau-Action-Climat | 2019
  • Appel pour la Nature | WWF | 2019
  • Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique | Carbone 4 | juin 2019
  • Agir en cohérence avec les ambitions. Rapport annuel “neutralité carbone” | Haut conseil pour le climat | 25 juin 2019
  • Rapport du Gouvernement au Parlement et au CESE, suite au premier rapport du Haut conseil pour le climat | gouvernement | 10 janvier 2020
  • Communes, intercommunalités et action climatique | La Fabrique Écologique | novembre 2019
  • Sortie de crise et climat : que doivent faire les Régions françaises ? | Réseau-Action-Climat | 2020
  • La fabrique des inégalités environnementales en France. Approche sociologiques qualitatives | Valérie Deldrève, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Climat l’argent du chaos. Pour une interdiction des dividendes climaticides | Greenpeace | 2020
  • Quelle place pour l’environnement au sein de la discipline économique ? | Fondation N.Hulot | 2020
  • Publicité : pour une loi Évin climat | Greenpeace | 2020
  • La France ne se prépare pas assez au changement climatique | Alternatives économiques | 6 août 2020
  • Le changement climatique : une apocalypse budgétaire pour les pays pauvres | Martin Anota, blog Alternatives économiques | 19 décembre 2020
  • Le récit de la décroissance ne dit pas qui se prive et qui disparaît | Xavier Timbeau, Alternatives économiques | 2020
  • Mirages de la décroissance : Produire moins sans appauvrir la population mondiale ? | Leigh Phillips, Le Monde diplomatique | février 2021
  • Transition écologique et solidaire, vers la neutralité carbone. Stratégie bas-carbone | ministère de la transition écologique | rapport / résumé | mars 2020
  • Climate adaptation finance : fact or fiction ? | CARE | 2021
  • Peut-on échapper à la société de consommation ? | Alternatives économiques | mars 2021
  • Climat, CAC degrés de trop : le modèle insoutenable des grandes entreprises françaises | Oxfam | mars 2021

« Au fond de la nuit

s’éteignent l’une après l’autre

les lucioles pour toujours »  Hosomi Ayako

Agriculture, alimentation, eau, forêts…

« Il est avéré que l’accélération de l’évolution climatique est due aux émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les activités humaines. Les principaux secteurs responsables de cette accélération sont l’énergie, l’industrie et les transports. Mais le secteur des terres peut jouer un rôle majeur et pourrait contribuer de 20 à 60% au potentiel bandeau_6d’atténuation des émissions de GES d’ici 2030. Comment ? Grâce au rôle de l’agriculture et de la forêt en tant que pompe à carbone, permettant de stocker le carbone et de compenser les émissions des autres secteurs par une évolution des modes de production. » [ministère de l’agriculture et de l’alimentation | février 2020]

L’avenir passe par l’agriculture

  • Agenda 21 : programme local d’actions en faveur du développement durable | ONU | 1992
  • Adaptation de l’agriculture aux changements climatiques | Réseau-Action-Climat | 2014
  • Solutions fondées sur la nature pour lutter contre les changements climatiques | UICN | 2016
  • Le scénario Afterres 2050 | Solagro | projet / résumé | 2016
  • Préserver et partager la terre | Terre de liens | rapport-novembre 2018
  • Pour une alimentation bénéfique à la santé de tous et au climat | Réseau Action Climat, Solagro | octobre 2019
  • Pesticides et biodiversité | Générations futures | 2019
  • Aires protégées | Office français de la biodiversité | rapport 2019
  • Solutions fondées sur la nature pour les risques liés à l’eau en France | UICN | 2019
  • Séquestration du carbone dans les sols agricoles en France | Cyrielle Denhartigh, Réseau Action Climat | novembre 2019
  • Planète vivante : infléchir la courbe de la perte de la biodiversité | WWF | rapport-2020
  • Eau et milieux aquatiques | Office français de la biodiversité | rapport 2020
  • Actualité de l’eau | Aqueducs info
  • Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à des propriétaires de terres en friche Reporterre | 27 janvier 2020
  • Plan de relance. Transition agricole, alimentation et forêt | ministère de l’agriculture et de l’alimentation | septembre 2020
  • Comment l’agriculture peut devenir une partie de la solution au changement climatique | Green European Journal | 14 décembre 2020
  • Des jeunes en première ligne pour le climat ! Recueil d’initiatives menées dans l’agriculture par des jeunes afin de lutter contre les effets du changement climatique | FAO | 2020
  • Élevage et consommation de produits animaux respectueux de la planète | Réseau-Action-Climat | 2021
  • La chasse cœur de biodiversité… Vraiment ? | Matthieu Jublin, Alternatives économiques | février 2021
  • Pour le développement des semences paysannes en Bretagne | KaolKozh | 2021
  • L’agriculture intelligente face au climat | FAO | 2021
  • Pour une autre PAC (Politique Agricole Commune) | FNAB | 2021
  • La réforme de la PAC ne répond pas aux objectifs du Pacte vert | étude INRAE | 2021
  • Pour une PAC plus juste, verte et tournée vers l’avenir, un millier de propositions citoyennes | Mathilde Gérard, Le Monde | 11 janvier 2021
  • Plan stratégique national de la politique agricole commune. Propositions | compte-rendu de la Commission nationale du débat public | janvier 2021
  • Contre l’apocalypse climatique, les soulèvements de la Terre | Reporterre | 10 mars 2021

Importance de la forêt

« Les forêts ont quatre rôles principaux dans le changement climatique: elles produisent actuellement un sixième des émissions mondiales de carbone lorsqu’elles sont déboisées, surexploitées ou dégradées ; elles réagissent avec sensibilité au changement climatique; lorsqu’elles sont gérées de façon durable, elles produisent du combustible ligneux qui remplace favorablement les combustibles fossiles ; et enfin, elles ont le potentiel d’absorber un dixième des émissions de carbones mondiales prévues pour la première moitié de ce siècle dans leur biomasse, sols et produits et de les emmagasiner – en principe à perpétuité. » [ FAO]

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« Les pieds dans la cendre

Je pleure

Les arbres disparus ». Yves Gerbal

  • Gestion et exploitation écologique de tous les types de forêts | ONU | Rio, 1992
  • Le changement climatique et la forêt : une réalité | Forêts de France N° 509 | décembre 2007
  • Préparer les forêts françaises au changement climatique | Bernard Roman Amat, rapport aux ministres de l’agriculture et de l’écologie | 2008
  • L’arbre, allié de taille | Frédéric Joignot, Le Monde | 20 novembre 2011
  • Programme national de la forêt et du bois, 2016-2026 | ministère de l’agriculture et de l’alimentation
  • Notre avenir s’appelle forêt. Pérenniser les services écosystémiques des forêts françaises au XXIe siècle | ReforestAction | novembre 2018
  • Quel rôle pour la forêt dans la transition écologique en France ? | La Fabrique Écologique | 2019
  • Situation des forêts du monde. Forêts, biodiversité et activité humaine | FAO | 2020
  • Gestion forestière et changement climatique. Une nouvelle approche de la stratégie nationale d’atténuation | Gaëtan du Bus de Warnaffe, Sylvain Angerand, Fern / Canopée | janvier 2020
  • Adapter la forêt au changement climatique : une urgence | Hortense Chauvin, Actu Environnement | 18 mars 2020
  • Gestion durable des forêts, un levier pour lutter contre le changement climatique | ONF | 2020
  • Réchauffement climatique : quels enjeux pour la forêt ? | Manuel Nicolas, ONF | 2020
  • Feux de forêt : un risque accru par le réchauffement climatique | Météo France | 19 juin 2020
  • Face aux changements climatiques, la menace des feux de forêt de plus en plus forte | Oxfam | 23 septembre 2020
  • Les fronts de déforestation : moteurs et réponses dans un monde en mutation | WWF | 2020
  • La déforestation : définition, données, causes et conséquences | Notre Planète | mise à jour décembre 2020
  • La restauration des forêts peut aider le monde à se relever de la pandémie et à s’orienter vers un avenir plus vert | ONU info | 16 mars 2021

« Je suis désolé que nous ayons utilisé la planète comme une carte de crédit illimitée

Je suis navré qu’on est mis le profit au-dessus de l’humanité

Une erreur devient une faute que si on refuse de la corriger

Le climat c’est l’affaire de tous ».  Prince Ea,Sorry la Planète”, 2015

L’Affaire du siècle ou le recours en justice

« Le climat, ce n’est pas une petite affaire. C’est l’Affaire du Siècle. Mais au-delà des discours, l’État n’agit toujours pas assez, toujours pas à temps. Le dérèglement climatique, lui, n’attend pas. […] Dans le monde, le mouvement pour la justice climatique remporte des victoires et une nouvelle jurisprudence est en train de voir le jour. […] Le juge peut bandeau_8reconnaître la responsabilité de l’État français et enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents d’adopter toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État et réparer les préjudices subis. » Recours à l’initiative de : Greenpeace, Fondation N. Hulot, Notre Affaire à tous, Oxfam. [“Pourquoi attaquer l’État ?”]

  • Climat : stop à l’inaction, demandons justice ! | Affaire du siècle |
  • Demande préalable indemnitaire | Affaire du siècle | 2018
  • Consultation des signataires, résultats | Affaire du siècle | 2019
  • Mémoire complémentaire en trois points | Affaire du siècle | 2019
  • Requêtes, mémoires en intervention | FNAB | Fondation Abbé Pierre |2020
  • Argumentaire du mémoire en réplique | Affaire du siècle | 2020
  • l’État reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique | communiqué de presse Tribunal administratif de Paris | 3 février 2021
  • Affaire du siècle. “Au nom du peuple français”, le jugement | 3 février 2021
  • Une victoire historique pour le climat ! Tout comprendre sur l’audience au tribunal | Affaire du siècle | 3 février 2021
  • « L’Affaire du siècle » : première « historique » ou jugement symbolique ? | Romain Brunet, France 24 | 3 février 2021
  • Jugement dans l’Affaire du siècle : une bonne et une mauvaise nouvelle | Frédéric Says, France culture | 4 février 2021
  • Décryptage juridique de l’Affaire du siècle | Marta Torre-Schaub, The Conversation | 10 févier 2021

« Le monde se meurt y’a plus d’logique

Mais ils disent que nous restons stables

C’est la Macron économie

Donald Trump et Manuel mentent dans les manuels :

« Le réchauffement climatique est une invention des chinois »

Mais l’on consomme nos réserves terrestres annuelles en six mois

Dis-moi qui les évite

Il s’agit de cesser la reproduction des élites ». Lord Esperanza et Idriss Aberkane,Reste à ta place2018

Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) et projets de lois

Cette convention a largement été présentée comme une avant-première et une grande innovation démocratique, ce qui n’est pas tout à fait le cas comme le soulignent Jacques Testart [Les Possibles ATTAC | 29 septembre 2020] et le juriste Arnaud Gossement qui estime que « la convention citoyenne pour le climat est profondément monarchique » [Reporterre | 5 février 2020]. En déclarant « je prendrai les propositions de la Convention sans filtre », le président de la République a pris le risque de provoquer nombre d’insatisfactions, puisque filtres il y eut de sa part et filtres il y aura de la part de l’Assemblée nationale et du Sénat. « Mais nous étions dans un contexte d’expérimentation. », note Thierry Pech, l’un des garants de la CCC [France culture | 8 décembre 2020]. Est-ce suffisant pour rassurer les membres de la CCC et les nombreuses associations et ONG qui les soutiennent ?

CCC : juillet 2019-février 2021

  • bandeau_9Lettre de mission pour la Convention citoyenne pour le climat | gouvernement | 2 juillet 2019
  • Association des Citoyens de la Convention climat | Les 150
  • La Convention Citoyenne pour le Climat, c’est quoi ? | CCC | 2020
  • Convention Citoyenne pour le Climat, qu’en pensent les Français ? | Réseau Action Climat | juin 2020
  • Convention Citoyenne pour le Climat : Quelques enseignements pour l’avenir | Terra Nova | décembre 2020
  • Lobbys contre citoyens : qui veut la peau de la Convention climat ? | Observatoire des multinationales | 2021
  • Les lobbies ont saboté la Convention citoyenne pour le climat | Gaspard d’Allens, Reporterre | 8 février 2021
  • Propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat | rapport final / synthèse | 28 janvier 2021
  • Suivi de la Convention citoyenne pour le climat | gouvernement | 2021
  • L’heure de vérité pour la Convention citoyenne pour le climat : le bilan est très amer | Célia Quilleret, France Inter | 28 février 2021
  • Avis de la CCC aux réponses apportées par le gouvernement à ses propositions | CCC | 2 mars 2021

Projet de loi constitutionnelle et projet de loi climat – résilience

  • Projet de loi constitutionnelle : “rehausser la place de l’environnement dans la Constitution” | Assemblée nationale | 20 janvier 2021
  • Projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, votée en première lecture par l’Assemblée national : résultat du vote | 17 mars 2021
  • L’inscription de l’environnement dans la Constitution approuvée par l’Assemblée nationale | Le Monde | 17 mars 2021
  • Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets | exposé des motifs / contenu de la loi | 8 janvier 2021
  • Le projet de loi réduit à néant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat | Gaspard d’Allens, Reporterre | 9 janvier 2021
  • Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, avis du Conseil national de la transition écologique (CNTE) | 26 janvier 2021
  • Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets. Extrait du registre des délibérations | avis du Conseil d’État | 4 février 2021
  • Lettre ouverte à l’attention d’Emmanuel Macron sur le manque d’ambition du Projet de loi Climat | Réseau Action Climat | 8 février 2021
  • Loi climat et résilience : l’écologie dans nos vies | ministère de la transition écologique | 10 février 2020
  • Projet de loi climat et résilience, avis du Haut Conseil pour le climat | 22 février 2021
  • Le Haut Conseil pour le climat appelle le Parlement à renforcer le projet de loi | Coralie Schaub, Libération | 23 février 2021
  • Loi Climat : “je n’accepterai aucune baisse d’ambition à l’Assemblée nationale”, Barbara Pompili | Reporterre | 25 février 2021
  • Analyse juridique du projet de loi climat | CCC | 28 février 2021
  • projet loi climat-résilience | audition des membres de la Convention citoyenne pour le climat par commission spéciale | Assemblée nationale | 17 février 2021 | autres comptes-rendus de la commission
  • projet loi climat-résilience | approbation par commission spéciale du projet amandé | Assemblée nationale | 18 mars 2021

Et maintenant ?

Rimbaud


Sites consultés : institutions publiques, associations, ONG

Les haïkus cités sont issus de : « Le petit livre des haïkus », Muriel Détrie | First éditions, 2018


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  • À toutes les personnes de bonne volonté sur la crise climatique”, Pape François | Vatican, 4 octobre 2023 | « Le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. Quoi qu’il en soit de cette éventualité, il ne fait aucun doute que l’impact du changement climatique sera de plus en plus préjudiciable à la vie et aux familles de nombreuses personnes. Nous en ressentirons les effets dans les domaines de la santé, de l’emploi, de l’accès aux ressources, du logement, des migrations forcées, etc. […] Ces dernières années, de nombreuses personnes ont tenté de se moquer de ce constat. Elles font appel à des données supposées scientifiquement solides, comme le fait que la planète a toujours connu et connaîtra toujours des périodes de refroidissement et de réchauffement. Elles oublient de mentionner un autre fait pertinent : ce à quoi nous assistons aujourd’hui est une accélération inhabituelle du réchauffement, à une vitesse telle qu’il suffit d’une génération – et non des siècles ou des millénaires – pour le constater »
  • Chronologie du changement climatique d’origine humaine et de l’action de l’homme sur l’environnement | Vie Publique | septembre 2023
  • “Acter l’urgence, engager les moyens”, rapport complet / résumé | Haut Conseil pour le Climat | juin 2023
  • Changement climatique | GIEC sixième rapport | 2021
  • « La crise climatique s’aggrave partout à des niveaux sans précédent, alerte le GIEC » | Audrey Garric, Le Monde | 9 août 2021
  • « 10 points clés pour comprendre le 6e rapport du Giec » | Météo France |  9 août 2021 
  • « Le réchauffement climatique doit-il être spectaculaire pour mobiliser ? » | François Saltiel, France Culture | 9 août 2021
  • “Transition(s) 2050. Choisir maintenant, agir pour le climat”, rapport ADEME | 2021 / synthèse du rapport | mise à jour 2024 | infographie 2024 : 4 scénarios possibles
  • “Adoption du pacte de Glasgow pour le climat à la COP26 : une dynamique à poursuivre”, Ministère de la transition écologique | 15 novembre 2021
  • COP26  conférence de Glasgow, “Négociations climatiques : une COP26 encourageante mais loin du compte”, Sénat | décembre 2021 | rapport d’information complet / synthèse

Consortages et communs en Pays Alpin

Cet article fait partie d’un dossier publié en juin 2020 par la revue Nature et Progrès, LA VOIX DES COMMUNS


Biens communs, communs, ces deux concepts possèdent une longue histoire, en particulier dans les montagnes des Alpes du nord. Voyage du Moyen-Âge à nos jours au travers de plusieurs expériences.

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Aux XIe et XIIe siècles, de nombreuses vallées alpines sont progressivement occupées par des seigneuries laïques et religieuses qui cherchent à développer l’agriculture et le pastoralisme sur l’adret, ou versant du soleil, de ces vallées, y compris en altitude. Le processus économique est relativement simple : les seigneurs, quand ils manquent de main-d’œuvre, cèdent aux nombreux monastères de la région des forêts et des terres en friche ou exploitées par des paysans descendants des Romains, premiers occupants de ces vallées, peu avant notre ère. Le droit coutumier, y compris celui de “l’emmontagnage” (montée en alpage l’été) pratique déjà ancienne, est alors bafoué par la colonisation et l’accaparement de terres, de forêts…, plus par la force que par la négociation.

moineLes moines, étroitement liés aux comtes, princes et évêques de la féodalité, sont fort loin de l’image mythique du “bon moine[1] défricheur de terres alpines, prenant grand soin du pauvre paysan sans terre, à qui ils ne font pourtant que très rarement appel, les monastères entrepreneurs ayant leur propre main d’œuvre : les frères convers parfois recrutés parmi les paysans exclus des terres conquises. Avec le temps, ces communautés ou communs monastiques deviennent de véritables seigneuries sur de vastes territoires pouvant occuper plusieurs vallées. Ce qui fait que « les Alpes médiévales ne sont pas un espace de liberté au centre d’une Europe féodale. L’air de la montagne ne rend pas libre, non plus qu’il ne porte à l’égalité, n’en déplaise à Jean-Jacques Rousseau ! »[2] [Nicolas Carrier, 2003]. Ne serait-ce pas encore le cas de nos jours ?

Les albergements

Aux XIVe et XVe siècles, certains monastères éprouvent de la difficulté à recruter des frères convers et ils doivent, non sans regret, passer la main. Ils ont alors recours à l’albergement (pratique qui n’est pas propre aux Alpes) ou abergement : « Aberger prend, dès le deuxième quart du XIIIe siècle, le sens général de donner à cens, de remettre un bien immobilier à un individu moyennant certaines prestations, et l’abergement désigne le contrat qui règle les conditions de cette remise […] (qui) s’applique indifféremment à la concession de terres, de bois, de maisons, d’alpages, de cours d’eau, pour une durée perpétuelle et moyennant une introge (redevance) annuelle« [3] [Pierre Duparc, 1964]. Dans les Alpes, ces abergements sont souvent attribués collectivement à des paroisses, seule entité communale au Moyen Âge, ou à des hameaux de montagne, parfois de grande taille, ce qui oblige les habitants à s’organiser pour les gérer. [voir Charte albergement Vallorcine en 1264]

Si un abergement collectif ne peut être considéré comme pleinement autonome, il préfigure cependant la future commune ; dans certains cas, une communauté villageoise pouvait en effet être amenée à décider de la construction, sur le périmètre de l’abergement, de biens immobiliers : canaux d’irrigation, moulins, fours, étables… qu’elle devait ensuite gouverner et entretenir. Certains de ces abergements se transformeront en communes, plusieurs en gardant trace dans leur toponyme : Abergement-la-Ronce dans le Jura, Le-Grand-Abergement dans l’Ain…

Le consortage

Un grand saut dans le temps nous conduit en Tarentaise. L’environnement alpin n’est pas nécessairement celui des représentations édéniques que l’on peut garder de radieux avalanche_Granierséjours de vacances. Des contraintes climatiques et leurs conséquences (neige, froid, avalanches, inondations…) imposent une vie rude aux paysans alpins, au point qu’il est quasi impossible d’agir seul : « En montagne, tu ne peux t’en sortir seul, le collectif est une nécessité« [4] [René Chenal, agriculteur]. C’est avant tout cette nécessité qui a conduit dans les années 1970 huit jeunes agriculteurs (“les Huit”) d’un petit village de la Tarentaise, à créer un Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC) : « Les GAEC ont pour objet la mise en valeur en commun des exploitations des agriculteurs associés et de permettre la réalisation d’un travail en commun. Ils peuvent également avoir pour objet la vente en commun du fruit du travail des associés » [loi n°62-917 du 8 août 1962]. Les trois occurrences du mot commun dans cette courte définition indiquent clairement ce qui doit être recherché par les associés regroupés statutairement en société civile agricole avec un maximum de dix personnes comme sociétaires.

“Les Huit” ont une double motivation : maintenir d’une part dans leur village le pastoralisme montagnard ancestral, mais en grande difficulté (fermes non reprises…), et d’autre part, le moderniser en matériel et dans sa gestion : « À notre époque, il n’est plus possible d’attacher des hommes et des femmes, 24 heures sur 24, 365 jours par an, à une exploitation agricole. Ce sont pourtant là les exigences de l’élevage traditionnel quand il est individuel. La solution collective permet une meilleure gestion de la main-d’œuvre en assurant, par rotation, la présence auprès du troupeau« [5] [René Chenal]. Leur GAEC devient le “GAEC du Consortage” en référence à des pratiques collectives qu’ils ont découvertes dans le Valais Suisse lors de rencontres inspirantes pour leur propre création.

Partager ensemble le même sort

Dans le Valais, consortage peut se traduire par “partager ensemble le même sort”. Il s’agit d’un véritable art des communs remontant au Moyen Âge : « Des siècles durant, les consortages ont organisé la vie économique paysanne du Valais, au moyen de manuels bissesjuridiques et d’ordonnances. Ils réglementaient en particulier l’usage des biens communs comme l’eau, les forêts et les alpages. Les consorts étaient aussi responsables de la construction et de l’entretien des infrastructures communes : bisses[6] (canaux d’irrigation), sentiers, aménagement d’alpages ou encore fours à pain »[7] [Thomas Antonietti, Consortages en Valais, 2012].

Il s’agit de gérer au mieux des ressources en quantités limitées, tout particulièrement: l’eau, la forêt, les alpages, dans un cadre juridique complexe où sont reliés propriétés privées, coopératives et services publics, en vue d’une administration collective renforçant « une forme de solidarité, une unité entre les membres et le sentiment de responsabilité envers les biens communautaires »[8]. C’est bien, semble-t-il, la meilleure manière pour éviter une “Tragédie des biens communs”[9], titre d’un rapport écrit par l’américain Garrett Hardin dans lequel il souligne l’usage abusif, donc destructeur d’un bien commun si on lui laisse un total libre accès, que ce soit l’eau, un pâturage, une forêt… La seule solution possible pour cet écologue est libérale : privatiser tous les biens communs et les placer sur le marché. Elinor Ostrom[10] (prix Nobel d’économie en 2009) a démontré le contraire en parcourant le monde à la découverte de nombreuses expériences en gouvernance collective de biens communs.

Le choix du consortage n’élimine cependant pas tous les risques et les conflits d’intérêts, aussi des mises au point sont régulièrement nécessaires. Ce fut le cas par exemple pour le Consortage de Zinal, grand hameau de montagne du Valais, en décembre 1571 : ”les commissaires des probes hommes de la communauté de Chinai s’étant réunis, ont adopté les ordonnances […] pour le maintien de leur communauté vu les dommages causés par la dévastation des biens, tant communs que privés, des forêts et possessions, à la suite d’irrégularités et d’inconvenances de certains »[11] [Ignace Mariétan, 1953]. Les statuts « assurant l’ordre à l’intérieur, et la protection contre toute pression extérieure«  sont approuvés en assemblée générale.

Les assemblées générales de consorts

Les consortages constituent un modèle de vie démocratique. Un habitant peut être consort dans la mesure où il possède au moins un pré de fauche sur le territoire du fruit communvillage, siège du consortage. Les assemblées générales des consorts sont fréquentes. Elles abordent toutes les questions concernant la gestion des biens communs. Elles ont lieu dans la chapelle ou l’église du village, le dimanche après l’office religieux, et parfois même, au cimetière si le temps le permet, « comme pour bien marquer les correspondances unissant les morts aux vivants et la terre au ciel et pour affirmer la valeur d’une action politique traditionnelle mûrissant les vertus du passé ; sous la direction des majors et syndics, l’assemblée approuve à mains levées, souvent à l’unanimité« [12] [Grégoire Ghika, 1954]

Dans chaque consortage, deux fonctions de police sont exercées à tour de rôle par des consorts élus : les procureurs chargés de la surveillance des biens communs et du prudhommesrecouvrement de l’argent provenant des ventes du fruit commun (productions laitières, bois…) et des amendes infligées aux fautifs ; les prud’hommes chargés du bornage des prés et des pâturages et de l’organisation des “corvées” d’intérêt général tel l’entretien des chemins, des bisses, des fours à pain, des alpages.

Aujourd’hui, dans le Valais, « les consortages remplissent encore une fonction importante sur le plan juridique, économique, écologique et social. […] Des biens communs comme l’eau, le sol, les semences doivent être considérés comme patrimoine commun. […] Ils doivent être contrôlés collectivement. […] Le système de consortage pourrait devenir un modèle de gestion durable de la nature et de l’environnement » [13]. [Thomas Antonietti, op.cit]

GAEC du Consortage et Groupement pastoral de Plan Pichu

C’est bien cela qui a inspiré “les Huit” du Versant du soleil en Tarentaise. Maintenir l’élevage laitier en montagne a permis de sauver une grande partie de l’activité pichu_3économique de leur village de 360 habitants grâce au remembrement volontaire de terres agricoles jusqu’alors très dispersées ; ainsi qu’au développement et à la mécanisation de la traite d’un troupeau de vaches tarines, solides montagnardes et réputées pour la qualité de leur lait destiné à la fabrication du fromage Beaufort. Le GAEC du Consortage [pour en savoir plus sur le GAEC], une fois installé dans ses murs, s’est relié à d’autres communs:

  • Un groupement pastoral  [loi du 3 janv. 1972 titre II] en coopérative, regroupant plusieurs éleveurs de la vallée et assurant la gestion du vaste pâturage d’été de Plan Pichu, propriété de deux communes voisines. Le Beaufort est fabriqué sur place et le même système de “corvées” que dans les consortages du Valais assure l’entretien.
  • Une coopérative laitière garante du fruit commun le Beaufort (affinage, qualité, vente, rétribution…), en gestion directe par les éleveurs.
  • Le Syndicat de défense du Beaufort : assure la valorisation et le développement du fruit commun : « On explique toute l’histoire collective de l’AOP (appellation d’origine protégée). Elle existe parce que ce sont des gens qui ont su travailler ensemble. […] C’est une dynamique qui ne doit pas mourir, on doit rester dans cet esprit du collectif  » [un jeune éleveur, 2006].

pichu_2Cet “esprit du collectif ” constitue la base des consortages et des communs, dans le cadre d’une agriculture montagnarde, certes modernisée, mais qui garde des racines solidement ancrées à un terroir où l’élevage est un atout économique important. Cette production est régulièrement mise en difficulté par le développement d’un tourisme qui peut être envahissant, en tout cas, très éloigné de la démarche « en communs » autour de ressources considérées comme des biens communs, mais pas par tout le monde ! Le développement de cette démarche, s’il est souhaité par de nombreuses associations, telle Nature et Progrès, demeure cependant incertain. Serait-ce par manque d’une volonté politique commune ?


Notes

  1.  Mouthon Fabrice, “Moines et paysans sur les alpages de Savoie (XIe-XIIIe siècles) : mythe et réalité”, Cahiers d’histoire 46-1 | 2001
  2.  Carrier Nicolas, “Les communautés montagnardes et la justice dans les Alpes nord-occidentales à la fin du Moyen-Âge”, Cahiers de recherches médiévales N°10, 2003
  3.  Duparc Pierre, “Les tenures en hébergement et en abergement”, Bibliothèque de l’école des chartes, 1964
  4. Chenal René, entretiens en juillet 2014
  5. Chenal René, Le Versant du soleil : un nouvel art d’aménager, 1991, éd. Académie de la Val d’Isère
  6. Bisses du Valais : canaux d’irrigation. Dans certaines régions de France il s’agit de béals
  7. Antonietti Thomas, “Consortages en Valais”, Wikivalais, 2012
  8.  ibid.
  9.  Hardin Garrett, “La Tragédie des communs”, revue Science, 1968
  10. Ostrom Elinor, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, 1990 | éd. française De Boeck, 2010
  11. Mariétan Ignace, “Le consortage de Zinal”, Bulletin de la Murithienne Sion, 1953
  12. Ghika Grégoire, “Les statuts de la commune de Zinal en 1571”, Annales valaisannes, 1954
  13. Collectif, op.cit.

Voir également :


Vers bibliographie “communs et économie sociale et solidaire”


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Bibliographie : agriculture, alimentation

téléchargement pdf avril 2020
  • Académie de Villefranche et du Beaujolais, « Villefranche-sur-Saône, charte de 1260 : à la recherche des libertés communales » | note / déc. 2010
  • Agreste Auvergne-Rhône-Alpes, « Panorama des productions alimentaires« / 2016
  • Agreste Île-de-France, « Mémento de la statistique agricole« / déc. 2017
  • AGter, « Forum mondial sur l’accès à la terre et aux ressources naturelles« / av. 2016
  • APUR « Une agriculture urbaine à Paris »| Note N°113 / fév. 2017
  • Assemblée nationale, « Le foncier agricole” | Rapport d’information N°1460 / déc.2018
  • Atelier Paysan (l’), « Observations sur les technologies agricoles » | juillet 2021
  • Barbut Monique, « Les Sols, un enjeu climatique majeur » | Alternatives économiques N°345 / Avr. 2015
  • Barles Sabine, « L’idée de nourrir les métropoles grâce aux ceintures vertes est une illusion ! » | Colibris le Mag / juin 2017
  • Barrier Marie-France, “ Le champ des possibles : la Tournerie, ferme Terre de Liens” | France 5 (extrait) / 2017
  • Baury Jacqueline, « Développement local durable et coopération internationale » | Horizons solidaires  / sept. 2012
  • Beyerbach Cornélia, “Alpages et agropastoralisme en Tarentaise et Pays du Mont-Blanc” | Fondation Facim / 2011
  • Blanchard Raoul, « La vie pastorale dans les Alpes françaises » | Revue de géographie alpine N° 3 / 1922
  • Bolis Angéla, “Des collectivités locales en quête de résilience alimentaire” | Le Monde / 20 juillet 2020
  • Bolze Sophie, “Marinaleda, un village en utopie” | documentaire produit par Tarmak-films / 2009 (DVD)
  • Bourgeois Jules, “La belle histoire de l’installation de onze jeunes paysans sur une ferme du Limousin” | Reporterre / 2016
  • Bové José, Luneau Gilles, L’Alimentation en otage | éd. Autrement / 2015
  • Brand Stewart, Discipline pour la planète Terre, vers une écologie des solutions | éd. Tristram /2014
  • Carrier Nicolas, Mouthon Fabrice, Paysans des Alpes, les communautés montagnardes au Moyen-Âge | PUR / 2010
  • Carrier Nicolas, Laffont Pierre-Yves, L’estivage en Savoie du nord au Moyen-Âge. Essai de chronologie et typologie | PUM / 2006
  • Carrier Nicolas, « Les communautés montagnardes et la justice dans les Alpes nord-occidentales à la fin du Moyen-Âge » | Cahiers de recherches médiévales / oct.2003
  • Chapelle Sophie, « Loin de l’agrobusiness, une coopérative favorise l’alimentation solidaire et l’économie locale » | Bastamag / janv. 2015
  • Chiffoleau Yuna, Paturel Dominique, « Les circuits courts alimentaires pour tous, outils d’analyse de l’innovation sociale » | Innovations N° 50 / 2016)
  • Choplin Antoine, Cour Nord | éd. La Brume Rouergue / 2010
  • Collectif, “Le pastoralisme collectif dans le massif des Alpes » | Territoire N°186 / fév.2012
  • Collectif, “Demande de réorientation forte du Plan Stratégique National afin que les aides de l’éco-régime soutiennent les pratiques agricoles en proportion des bénéfices réels pour l’environnement” | lettre ouverte au Président de la République / 9 septembre 2021
  • CNDC (Commission nationale du débat public), “Compte rendu du débat public sur le plan stratégique national de la politique agricole commune (PAC)” | rapport d’étape / avril 2020 | Compte rendu final / janvier 2021
  • Conseil économique et social, « La maîtrise foncière, clé du développement rural : pour une nouvelle politique foncière » | Rapport Jean-Pierre Boisson / 2005
  • CREDOC « Les nouvelles générations transforment la consommation de viande » | rapport / sept.2018
    • « La perception du prix juste par les Français »| rapport / déc. 2008
  • Deguara Samuel, « Conditions d’émergence de la Confédération paysanne et conditions de production d’une nouvelle idéologie paysanne : éléments pour une socio-histoire du mouvement progressiste paysan » | Quaderni N°56 / 2004
  • Derville Grégory, Réussir la transition écologique | éd. Terre Vivante / 2019
  • De Serres Olivier, Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs. Du devoir du mesnager, ou l’art de bien cognoistre et choisir les terres / 1600 (Gallica-BNF)
  • Dufumier Marc, L’agroécologie peut nous sauver | éd. Actes Sud / 2019
    • 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation | Allary édition / 2014
  • Duparc Pierre, “Les tenures en hébergement et en abergement” | Bibliothèque de l’école des Chartres / 1964
  • FAO « Biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture » | Rapport (anglais) / fév. 2019
    • « Biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture » | résumé (français) / fév. 2019
    • « L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde » | rapport / 2017
    • « Sécurité alimentaire et développement agricole en Afrique subsaharienne » | rapport / 2006
  • Fondation pour la recherche sur la biodiversité, « Dégradation et restauration des terres« / 2016
  • FranceAgriMer, « Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires » | rapport au Parlement / 2017
  • France stratégie, « Faire de la politique agricole commune un levier de la transition agroécologique » | rapport / 2019
  • Gaborit Elie et al. « Agriculture et démocratie » | note / 2011
  • Garde Laurent et al. « Permanence et mutations de l’élevage pastoral dans les Alpes du Sud » | Revue de géographie alpine | 2014
  • Grancolas Philippe, « Qu’est-ce qui tue les insectes ? » | The Conversation / fév. 2019
  • Grémillet Alice, Fosse Julien, “Améliorer les performances économiques et environnementales de l’agriculture : les coûts et bénéfices de l’agroécologie” | France Stratégie / 13 août 2020
  • Groupement Régional Alimentaire de Proximité, « Semer, nourrir et cultiver » | GRAP / 2020
  • Greniers (les) d’Abondance, « Vers la résilience alimentaire » | projet / 2020
  • Harvois France, Lynch Édouard, Le Beaufort, réinventer le fruit commun | éd. Libel / 2016
  • Hermelin Jules, « 10.000 Amérindiens ont lancé une vaste opération d’occupation des terres » | Bastamag.fr / 29 avr. 2015
  • Huet Jean, Vers une gestion coopérative de l’eau. L’utilisation des SCIC | éd. Fondation Gabriel Péri / 2014
  • IGN éducation, « La forêt en France métropolitaine« / janv. 2019
  • Initiative Charte de la Terre, « Charte de la Terre« / 2000
  • Inter Régions, Convention massif Alpin 2015-2020
  • Israël Dan, « Accaparement des terres : nouvelle action contre Bolloré » | Médiapart / 25 avr. 2015
  • Kerinec Moran, Mollaret Oriane, “Un autre fromage est possible : près de Lyon, une coopérative paysanne d’un nouveau genre” | Reporterre / 10 avril 2021
  • Koné Massa, « L’accaparement des terres sévit au Mali » | Reporterre / 5-déc. 2013
  • Le Boursicot Jérôme, « Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à des propriétaires de terres en friche » | Reporterre / 27 janvier 2020
  • Leclair Lucile, “De la ferme familiale à la firme internationale. L’agro-industrie avale la terre” | Le Monde diplomatique / février 2022
  • Lemonde Anne, « De la révolte à la liberté. L’intégration politique modèle d’un bailliage montagnard : le Briançonnais au XIVe siècle » | 34° congrès de la SHMESP / mai 2003
  • Lévêque Aurélien, Vink Luba, Changement de propriétaire | documentaire produit par Cellulo Prod / 2015 (DVD)
  • Linou Stéphane, Résilience alimentaire et sécurité nationale | BookEdition / 2019
  • Locher Fabien, (dir.) La Nature en commun. Ressources, environnement et communautés | éd. Champ Vallon / 2020
  • Maréchal Gilles et al. « Les projets alimentaires territoriaux, entre rupture, transition et immobilisme ? » | GREP / 2019
  • Mariétan Ignace, « Le consortage de Zinal » | Bulletin du Murithienne Sion / 1953
  • Mariette Maëlle, “Entre trayeuses laser et revenus de misère. La course infernale des producteurs de lait” | Le Monde diplomatique / février 2021
  • Ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, « Utilisation du territoire en France métropolitaine » | Agreste primeur N°313 / Juin 2014
    • « La demande alimentaire en 2050 : chiffres, incertitudes et marges de manœuvre » | Centre d’études et de prospective / fév. 2011
    • « Comment construire un Projet Alimentaire Territorial » | P.A.T. / 2017
    • “Recensement agricole 2020, résultats provisoires” | dossier de presse / 10 décembre 2021
  • Ministère de l’écologie, « Atlas régional de l’occupation des sols en France« / oct. 2016
  • Mouthon Fabrice, « Les communautés alpines et L’État (milieu XIIIe siècle début XVIe siècle) » | Actes du 34e congrès de la SHMESP / mai 2003
    • « Le règlement des conflits d’alpage dans les Alpes occidentales » (XIIIe XIVe siècles) » | 31e congrès de la SHMESP / 2000
    • « Moines et paysans sur les alpages de Savoie (XIe-XIIIe siècles) : mythes et réalité » | Cahiers d’histoire / 2001
    • La naissance des communs. Eaux, forêts, alpages dans les montagnes de Savoie | éd. Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie / 2016
    • Le sourire de Prométhée. L’homme et la nature au Moyen-Âge | La Découverte / 2017
    • « Aménagements de la montagne et gestion de l’eau dans les hautes vallée savoyardes. (Maurienne et Tarentaise XIIIe-XIVe siècles) » | Histoire et Sociétés Rurales / 2019
  • Nougarèdes Brigitte, Perrin Coline, Le foncier agricole dans une société urbaine Innovations et enjeux de justice | éd. Cardère / 2020. Extraits
  • Nutrition mondiale, « Agir en faveur de l’égalité pour mettre fin à la malnutrition » | rapport / 2020
  • ONB « Menace sur le vivant : quand la nature ne peut plus suivre« / 2018
  • Ostrom Elinor, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles | 1990 (éd. française De Boeck / 2010)
  • Parlement européen, « Méga tendances dans l’agro-alimentaire : aperçu mondial et réponse politique de l’U.E » | rapport (en anglais) / sept. 2019
  • Pays d’Aubagne et de l’Étoile, « Charte pour une agriculture durable« / 1992
  • Pégeault Nelly et al. « L’accaparement des terres » | Nature et Progrès  N° 127 / avr.-mai 2020
  • Perrier Marion, “À la reconquête des friches agricoles” | Alternatives économiques N°408 / janvier 2021
  • Pisani Edgard, Un vieil homme et la terre | éd. du Seuil / 2004
  • Plate-forme citoyenne, « États généraux de l’alimentation » / 2017
  • Pouch Thierry, « L’appropriation des terres agricoles, nouvelle étape de la mondialisation » | Alternatives économiques / 1er mai 2018
  • Rn-PAT « Réseau national des Projets alimentaires Territoriaux » | site
  • Saramago José, Relevé de terre | éd. du Seuil / 2012
  • Solagro, « Le scénario Afterres 2050« / 2016
  • Terra Nova, « Souveraineté alimentaire et transition écologique : un projet pour l’agriculture française » | note / février 2022
  • Terre de Liens, « Agir sur le foncier agricole, un rôle essentiel pour les collectivités locales » | guide / 2018
    • « Communes, intercommunalités, comment préserver les terres agricoles? » | rapport / 2014
    • “Guide de la propriété foncière agricole responsable“ | rapport / juin 2021
    • « Artificialisation : on n’arrête pas le béton » | rapport | janvier 2022
    • « Le portage foncier agricole. Levier pour une agriculture en transition » | rapport / résumé | février 2024
  • Terres’Fertîle, « Projet Alimentaire Territorial de l’Île d’Yeu » | projet / juil. 2019
  • Thomé Pierre, « Vers une nouvelle révolution agricole ? » | blog / 2019
    • « Biovallée et autosuffisance alimentaire » | blog / 2020
    • « Autosuffisance alimentaire : les défis de l’agriculture urbaine et rurale » | blog
    • « Le Fruit commun du Versant du soleil, un goût de Beaufort » | blog / 2014
  • Vaillant Pierre, « Les origines d’une libre confédération de vallées : les habitants des communautés briançonnaises au XIIIe siècle » | École des chartes / 1967
  • Via Campesina et GRAIN « Les lois semencières qui criminalisent les paysannes et les paysans » | rapport / 2015
  • Viallet Hélène, Les alpages et la vie d’une communauté montagnarde, Beaufort du Moyen-Âge au XVIIe siècle | éd. Académie salésienne, 1993
  • Vidal Roland, Fleury André, « L’autosuffisance agricole des villes, une vaine utopie ? » | La Vie des Idées / 4 juin 2010
  • Vivier Nadine, « Les biens communaux du Briançonnais aux XVIIIe et XIXe siècles » | Études rurales N°117 / 1990
  • Vogel Jean, L’Appel de Saâles. Le combat d’un maire pour réveiller la France rurale | éd. La Nuée bleue / 2019
  • WWF et Solagro, « Pour une transition agricole et alimentaire durable » | rapport / oct.2019

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Biovallée (26) et autosuffisance alimentaire

Dans le cadre des XVIIIe Rencontres de Die “Écologie au quotidien” janvier 2020

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Cet exposé fait partie d’une large étude portant sur l’autosuffisance alimentaire et qui a déjà donné lieu à plusieurs rapports : Rennes, région parisienne… Aujourd’hui, il sera surtout question de la Biovallée dans la Drôme.

L’urgence climatique génère de nombreuses interrogations, dont nécessairement celle de quoi va être faite notre nourriture dans les années à venir, là où nous vivons, et plus largement dans le monde. Invariablement elle débouche sur une autre : est-on assuré d’avoir de quoi se nourrir en cas de catastrophes naturelles (tremblement de terre…) ou liées à l’activité humaine (réchauffement climatique, guerre…), les deux pouvant d’ailleurs fort bien se combiner, par exemple séisme+tsunami et accident nucléaire à Fukushima en 2011. Le récent tremblement de terre (11 nov. 2019) dans la vallée du Rhône d’une magnitude de 5,4 à son épicentre (noté “fortement ressenti et dégâts légers”), est une sérieuse alerte sur un territoire pourtant considéré géologiquement comme peu instable et comportant plusieurs sites nucléaires. C’est donc de la sécurité civile dans sa plus large définition dont il est question, et plus précisément de l’une de ses composantes : la sécurité alimentaire, comment celle-ci est-elle définie ?

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO agence spécialisée de l’ONU dont le siège est à Rome), lors de plusieurs conférences mondiales de l’alimentation (1974, 1996, 2009), a approuvé la “Déclaration universelle pour l’élimination définitive de la faim et de la malnutrition”, avec un vaste programme d’action devant favoriser la sécurité et l’autosuffisance alimentaire avec comme définitions :

  1. pour la sécurité alimentaire, quatre piliers (résumé) :
  • accès: être en capacité pour toute personne de produire individuellement ou collectivement sa propre alimentation ou (et) d’acheter sa nourriture, ce qui suppose de disposer des moyens pour le faire, en particulier financiers
  • disponibilité: quantité suffisante d’aliments par autoproduction, importations, stockage, aides…
  • qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments
  • stabilité: accès permanent à la nourriture, y compris en cas de “choc” naturel, économique, conflictuel, personnel (maladie, chômage…) …

Il revient aux pouvoirs publics internationaux (FAO, CEE…) et nationaux (État, collectivités territoriales) de prévoir et d’assurer cette sécurité, et en cas de défaillance de leur part, de veiller à ce que les ONG internationales (Action contre la faim, Oxfam, Peuples solidaires…) et locales (Resto du cœur, Banques alimentaires…) puissent exercer leur fonction d’aide dans de bonnes conditions.

En France, doit-on considérer que la sécurité alimentaire devrait être intégrée aux “Plans communaux de sauvegarde ” ? [loi du 13 août 2004 de “Modernisation de la sécurité civile”] : « Le PCS est un outil réalisé à l’échelle communale, sous la responsabilité du maire, pour planifier les actions des acteurs communaux de la gestion du risque (élus, agents municipaux, bénévoles, entreprises partenaires) en cas d’événements majeurs naturels, technologiques ou sanitaires. Il a pour objectif l’information préventive et la protection de la population » [Wikipédia].

Voici la réponse du maire d’une petite commune rurale de Saône-et-Loire : « Les communes rurales établissent un Plan en concertation avec la Préfecture et les Services de l’État. Ce Plan prévoit d’identifier les risques potentiels et l’organisation de diverses mesures permettant de garantir la sécurité des habitants. S’agissant de l’alimentation c’est principalement le problème de la fourniture de l’eau potable qui est évoqué, ainsi que les services mobilisés pour acheminer des aliments en cas de besoin. Rien n’est dit sur la constitution de réserves » [M D. / 8 fév. 2020

  1. pour l’autosuffisance alimentaire: “satisfaction de tous les besoins alimentairesph_1 d’un pays par la production nationale” (FAO). Si elle n’est pas une condition absolument nécessaire à la sécurité, elle peut grandement la faciliter, en particulier en matière de transports si ceux-ci venaient à faire défaut (manque de carburants par exemple), et bien entendu sous réserve qu’un certain nombre de critères puissent être respectés :
  • choix politiques
  • périmètre territorial à préciser: est-ce une commune, une communauté de communes, une région, ou bien encore un territoire non administratif délimité en commun par des habitants, des associations, des élus… ? Sa définition doit tenir compte du nombre de résidents permanents et de passage
  • climat favorable à une agriculture polyvalente ; avec le réchauffement climatique ce critère prend de plus en plus d’importance
  • terres arables, pâturages, semences, eau, en qualité et quantité suffisantes
  • agriculteurs permanents et saisonniers motivés
  • entreprises de conditionnement, de transformation et de distribution.

Manifestement ces ambitieuses définitions présentent des limites pour leurs applications. En effet, pour différentes raisons (politiques, économiques, climatiques…), certains pays n’ont pas les moyens d’assurer sécurité et autosuffisance pour l’ensemble de leur population, ce qui d’ailleurs peut aussi concerner des pays riches ; c’est le cas par exemple de l’Arabie saoudite, pays en grande partie désertique qui, par manque de terres arables et d’eau, importe 80% de son alimentation tout en recherchant à autonomiser sa production par l’achat ou la location de milliers d’hectares de terres agricoles principalement en Afrique de l’Est, de l’autosuffisance alimentaire mondialisée en quelque sorte !

Ces définitions peuvent-elles s’appliquer à des territoires plus restreints qu’un pays, par exemple commune, communauté de communes, région, et à quelles conditions ?

Dans cette approche, on ne peut ignorer l’autosuffisance et la possible sécurité issues des ph_2jardins potagers privatifs ou sous forme de communs, tels les jardins partagés et familiaux, mais cela relève économiquement de la marge : 1 à 3 % de l’alimentation, et ne peut donc être projeté comme étant LA solution, sinon à y participer modestement. Donc au-delà de l’intérêt social et culturel que présentent ces pratiques, ma préoccupation, en période de grande incertitude climatique entre autres, est de savoir si l’autosuffisance alimentaire faciliterait l’accès à la nourriture de l’ensemble de la population — c’est-à-dire sans laissés-pour-compte — d’un territoire donné, qu’il s’agisse de grandes métropoles ou de territoires plus étendus à faibles densités en population, telle la vallée de la Drôme devenue Biovallée, là où nous sommes réunis aujourd’hui à Die, l’une des “capitales” de l’écologie.

Ainsi cette belle vallée devient l’un des objets de cette étude : disposerait-elle de suffisamment de terres agricoles pour assurer l’autosuffisance alimentaire de sa population permanente, voire de passage ? En fin d’exposé, je ferai brièvement mention à des résultats pour plusieurs métropoles.

Sources principales des données :

La BioVallée, état des lieux

Cette vallée a une solide réputation de bien vivre, réputation y compris médiatique, au point que même “Paris-Match” en a fait état ! [Charlotte Leloup, “La renaissance de la vallée”. Paris-Match N°3666, 14 août 2019].

En 2009, Les trois Communautés de communes, avec des élus convaincus, candidatent au Grand Projet Rhône-Alpes (GPRA), appel à projets accepté puis géré sur le terrain par un comité de pilotage très actif. L’association Biovallée est créée en 2012 par ce même comité de pilotage comme une suite logique à donner au travail des cinq années du GPRA pour, dans un premier temps, promouvoir et développer la marque Biovallée ainsi caractérisée dans le GPRA :

  • « a pour cœur l’agriculture biologique,
  • intéresse des milieux naturels remarquables,
  • vise le développement économique d’une zone rurale étendue.

[…] Un tel territoire mérite une reconnaissance très large. Il est un excellent exemple de la territorialisation du Grenelle de l’environnement. » [Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. “La Biovallée de la Drôme”, rapport, 2010]

Les trois Communautés de communes :

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La vallée, d’origine glaciaire (jusqu’à 1 500 m. de hauteur de glace il y a 20 000 ans !), est traversée dans toute sa longueur par la rivière Drôme aux étiages annuels importants, le “Syndicat mixte rivière Drôme” a la charge de son contrôle et de sa gestion.

Elle est touristique, avec nombre de résidences secondaires, de locations saisonnières et de campings, mais n’ayant pas trouvé de données suffisamment précises à ce sujet, la population temporaire ne sera pas prise en compte dans les calculs.

Une voie ferrée encore en activité serpente tout au long de la vallée mais reste sous la menace permanente d’une possible fermeture.

Pour parcourir la BioVallée par la route les distances sont abordables : dans le sens de la longueur, environ 100 km de Livron à Lus-la-Croix-Haute et en largeur 50 km de Saint-Julien-en-Quint à Gumiane.

Données agricoles

Définition de la surface agricole utilisée ou SAU

Les recensements agricoles par communes ont lieu tous les dix ans, le prochain devrait être effectué en 2020, les données utilisées dans ce document datent de 2010 et sont donc à relativiser, il s’en dégage cependant des tendances qui seront confirmées ou infirmées par le prochain recensement.

Localisation : les données se rapportent aux exploitations agricoles ayant leur siège sur la zone communale considérée, et la SAU d’une commune peut comprendre des terres en propriété ou louées sur d’autres communes. Ce qui explique que la SAU puisse être (rarement) à peu près équivalente à la superficie totale de la commune, en BioVallée c’est le cas pour Ambonil (Val de Drôme). En 2016, Aix-en-Diois et Molières-Glandaz ont fusionné sous le nom de Solaure-en-Diois, leurs données ont été rassemblées.

Exploitation agricole : unité économique qui participe à la production agricole, avec comme dimension : un hectare de superficie agricole utilisée ou 2 000 m² de cultures spécialisées.

La SAU se décompose en :

  • terres labourables pour productions de : céréales, cultures industrielles, légumes secs et protéagineux, tubercules, légumes de plein champ, plantes aromatiques, jachères…
  • cultures permanentes : vignes, vergers, lavande, pépinières…
  • toujours en herbe : prairies naturelles ou semées depuis au moins six ans.

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tableau 1

Les forêts propriétés d’exploitations agricoles ne figurent pas dans le calcul de la SAU, de même pour les jardins potagers privatifs et jardins partagés ou équivalents non déclarés en exploitations agricoles.

La Biovallée représente un tiers de la superficie du département de la Drôme mais seulement 11 % de la population. L’absence de grandes villes peut expliquer en partie cet écart.

Le Diois est largement la Communauté la plus étendue : 61 % de la BioVallée (Val de Drôme 28 %, Cœur de Drôme 11 %), alors que sa population ne représente que 20 % (Val de Drôme 54 %, Cœur de Drôme 26 %). Son relief accidenté et son important boisement en sont sans doute les principales raisons.

La BioVallée étant peu urbanisée (aucune de ses principales villes ne dépasse 10 000 habitants), sa densité en population (27 hab au km²) est très inférieure à celle du département (78), seul “Cœur de Drôme” (65) s’en rapproche. Cette faible densité pourrait-être l’une des raisons qui rend cette vallée attractive. La croissance de la population a été de 16,2 % en 15 ans (16,1 % pour le département), tout particulièrement Val de Drôme (19 %), alors que le Diois a moins progressé (11 %)

Résidences secondaires et locations saisonnières représentent 34% du logement dans le Diois, c’est un résultat élevé ; si ce territoire est certainement attractif pour le tourisme, il est aussi celui qui a perdu le plus de terres cultivables en dix ans (-19%) Qui sont ces résidents secondaires, quel impact ont-ils sur la vie de la vallée ? Questions qui seraient peut-être à approfondir…

Baisse du nombre d’exploitations agricoles et d’hectares en surface agricole

En France environ un quart des exploitations agricoles ont disparu entre 2000 et 2010, et la Biovallée n’a pas échappé à cette érosion (-26%) due à de nombreuses causes, l’une étant que les agriculteurs ne trouvent pas toujours de repreneurs pour leur ferme à leur départ en retraite. Le bâti devient alors souvent résidence secondaire ou primaire pour des “néoruraux” non-agriculteurs, et les terres agricoles sont dispersées à la vente quand elles ne sont pas laissées en friches ; à ce sujet l’action d’une commune dans le Finistère est à souligner : “Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à 400 propriétaires” [Reporterre / 27 janv. 2020]

Entre 2000 et 2010, la perte en SAU a été plus élevée pour la Drôme (-15 %) et la BioVallée (dont -19 % en Diois) que la moyenne nationale (-6 %). Ces pertes sont surtout provoquées par l’artificialisation des sols, Il n’existe pas actuellement de données centralisées permettant ce calcul au niveau communal ou intercommunal.

Cette érosion s’est-elle arrêtée ou au moins ralentie ? Il faudra attendre début 2021 pour le savoir avec précision, mais le risque en France demeure important en raison de :

  • l’accroissement de la population: taux moyen annuel de 0,5 % depuis 2009
  • l’artificialisation des sols: taux moyen annuel de 0,8 %, constant depuis 2010 (il était de 1,3 % entre 1992 et 2009). dont 90 % impactent la surface agricole. En 2016 les sols artificialisés représentaient 9,3 % de la superficie du territoire [fr]. Pour la Drôme ce taux serait de 6 % [Atlas régional de l’occupation des sols en France, ministère de l’environnement, 2016].
  • la diminution du nombre d’agriculteurs, généralement insatisfaits de leur condition : faibles revenus, manque de reconnaissance… Entre 2010 et 2016 le nombre d’exploitations agricoles a encore diminué de 11 % soit un taux annuel moyen d’environ 2 % [Agreste primeur N° 350 juin 2018].
  • des possibles pertes en surface cultivable du fait du réchauffement climatique et de la montée des mers, impossible à véritablement chiffrer pour l’instant.

Lors des prochaines décennies, si les taux ci-dessus restaient constants, avec une agriculture devenant de plus en plus bio et nécessitant donc plus d’hectares (de l’ordre de +45 % pour du 100 % bio), la superficie agricole en France pourrait devenir insuffisante vers 2070, ce qui semble bien loin… mais qu’est-ce que deux générations dans l’histoire de l’humanité, si ce n’est un léger soupir ?

Quels types de productions agricoles en 2010 dans la Biovallée ?

Définition (Agreste) : Orientation techno-économique de la commune (OTEC) : production dominante déterminée en fonction de la contribution de chaque surface sur l’ensemble des exploitations agricoles de la commune.

Ces données sont rassemblées dans le tableau suivant en quatre types de production :

  • polyculture
  • herbivores
  • volaille et granivores
  • fruits et viticulture

Les trois premiers occupent les terres labourables et en herbage (pâturages et près de fauche), fruits et viticulture occupent des terres dites en culture permanente. La répartition a été faite à partir des grandes tendances par communes recensées par Agreste en 2010.

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tableau 2

La SAU en BioVallée est à 91 % consacrée à des terres labourables et en herbe, résultat proche de la moyenne nationale (90 %), c’est le Diois qui a le taux le plus élevé (95 %). Cette orientation est importante dans la mesure où elle reflète des types de productions agricoles sans préciser toutefois ce qui relève de la polyculture ou de la monoculture.

La SAU moyenne (38,6 ha) par exploitation agricole de la Biovallée est nettement inférieure à celle de la France métropolitaine (63 ha).

En 2010, la BioVallée consacrait 9 % de la SAU en cultures permanentes (fruits et vigne) ; Drôme =16 %, France = 4 %.

Prospectives

Pour l’alimentation équilibrée d’une personne quelle serait aujourd’hui la surface en terre cultivable nécessaire pour une production alimentaire tendance bio et en pleine terre pendant un an, à raison d’une moyenne d’un bon kilo par jour de nourriture et en tenant compte des déchets ?

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tableau 3

Voici une proposition de grille d’évaluation inspirée par “Fermes d’avenir” : une surface agricole de ≈1.500 m² serait nécessaire pour assurer l’alimentation végétarienne d’une personne pendant un an, et en non végétarienne 1.000 m² sont ajoutés pour l’élevage (sources : “La filière laitière française” et le “Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie”) et avec l’hypothèse d’une baisse rapide de la consommation moyenne en viande de l’ordre de 40 %. Cette grille présente bien entendu des limites, elle ne tient pas compte en effet des âges, des particularités alimentaires régionales, etc., mais il s’agit d’estimations pour une personne d’âge moyen, aboutissant à des indicateurs moyens modifiables localement.

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tableau 4

En appliquant cette grille à l’ensemble de la population de la BioVallée (57.495 habitants en 2016) 14.374 hectares de terres agricoles seraient nécessaires pour produire localement et annuellement 25.932 tonnes de nourriture destinée à la population résidant de façon permanente en BioVallée.

(Par la suite les résultats vont figurer sous l’appellation “étude”)

Depuis peu un outil d’évaluation performant vient d’être créé conjointement par Terre de liens, la Fédération nationale d’agriculture biologique et le bureau d’analyse sociétale BasicPARCEL, d’utilisation aisée, permet de faire varier les critères : plus ou moins de bio ou de viande…, et de procéder à des évaluations par communes, inter-communales, etc., également pour différents groupes de personnes

L’outil Parcel, appliqué à la Biovallée avec des paramètres légèrement différents que ceux de “étude”, aboutit à des résultats un peu plus élevés, ce qui donne une fourchette d’estimations qui introduit des variables intéressantes.

Impact de l’hypothèse autosuffisance alimentaire sur la SAU

Paramètres “étude” : 90% relocalisation de la production (en tenant compte que tout ne peut être cultivé en BioVallée, par exemple riz, café, cacao…, ces aliments doivent donc être importés, mais il est aussi possible de s’en passer ! / en partie bio / baisse conso viande ≈ -40%

Paramètres Parcel : 100% relocalisation / 30% bio / baisse conso viande ≈ -25%

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tableau 5

Que ce soit dans le cas “étude” ou dans le cas Parcel on note que :

  • si l’estimation est limitée à Die, la SAU 2010 de cette commune est insuffisante pour envisager l’autosuffisance alimentaire ;
  • en revanche dès que le bornage est étendue à l’une des communautés de communes, les SAU 2010 du Diois et de Val de Drôme seraient amplement suffisantes, pour Cœur de Drôme ce serait plus limite ;
  • sur l’ensemble Bio-Vallée, la surface agricole estimée utiliserait seulement 31 % de la SAU dans le cas “étude” et 35 % dans le cas Parcel. Ce qui est également valable pour le département de la Drôme, mais avec des impacts doublés (65 % et 73 %)

La SAU 2010 en Biovallée (46 787 ha), si elle est restée en l’état en 2020 et le resterait au-delà, pourrait donc permettre d’envisager largement une autosuffisance-sécurité alimentaire pour l’actuelle population en résidence permanente, si toutefois celle-ci ne progresse pas de façon exponentielle avec l’artificialisation des sols qui en résulterait. Le solde en surface agricole permettrait donc d’assurer une production alimentaire tant pour les passagers (touristes et autres) que pour l’exportation dans le reste du département et au-delà, ce qui est d’ailleurs déjà le cas (vin, noix…) mais est difficile à évaluer.

Répartition de la surface agricole en Biovallée autosuffisante par grands types de productions

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tableau 6

L’élevage dans l’option Parcel occuperait 73 % de la S A et 47 % dans l’option “étude. La consommation de produits issus de l’élevage bio ou en AOP (Appellation d’Origine Protégée) demande beaucoup d’hectares en herbage (environ un par tête de bétail bovin). Ce qui souligne l’importance des choix à faire dans les façons de s’alimenter et dans les types de productions, dont certaines seraient sans doute à relocaliser dans la mesure du possible, d’autres à réduire (viande par exemple ?)

Il serait aussi intéressant de pouvoir mesurer la production des jardins partagés familiaux (pour la Drôme : récolte annuelle 25 tonnes sur 18 ha ; source Le Passe Jardins)

On peut comparer ces résultats avec ceux des orientations de la SAU 2010 (tableau 2) et constater avec prudence que ce qui se faisait en 2010, n’est pas très éloigné de ces prévisions.

Quelques ordres de grandeur en France

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tableau 7

C’est une évidence à rappeler : plus la densité en population au km² est importante, plus un projet d’autosuffisance alimentaire par relocalisation de la production agricole est du domaine de l’impossible, même pas de l’utopie ; jardins partagés, fermes urbaines, terrasses végétalisées…, sont certainement de belles réalisations mais sans commune mesure avec la réalité des besoins de toute une population urbaine.

Ainsi pour Paris où ce même type d’étude a été réalisé (sans l’option Parcel), la production alimentaire intra-muros ne peut être qu’infinitésimale, il est donc nécessaire de projeter d’étendre le territoire d’autosuffisance d’abord à l’Île-de-France : 12 millions d’habitants et 593 100 ha de SAU, nettement insuffisante, car la S-A nécessaire en autosuffisance serait de 4,2 millions ha ; ensuite au Bassin Seine-Normandie, historiquement “nourricier” de la région parisienne : 17 millions d’habitants, 5,7 millions ha de SAU (dont 3,3 millions actuellement consacrés à la production de céréales et d’oléagineux destinés à l’exportation), le besoin estimé en S-A pour autosuffisance serait alors de 5,9 millions ha, ce qui se rapproche nettement de la SAU 2010 et permettrait d’envisager l’autosuffisance, mais dans un rayon moyen de 280 km autour de Paris et à condition, entre autres, de remettre en cause les monocultures !

ph_5Paris “capitale agricole” ? Rennes “ville nourricière en route vers l’autosuffisance alimentaire de la ville” ? Voilà de beaux et vastes projets aux intentions louables, mais aussi aux effets d’annonce avec une bonne dose d’illusion, car ne posant pas les limites territoriales d’une relocalisation permettant de parvenir réellement aux objectifs que se donnent ces villes.

Plutôt éloignées des soucis alimentaires des grandes métropoles, la Drôme, et encore plus la Biovallée, sont actuellement dans une situation privilégiée du fait de leur faible densité en population et de la surface que ces deux territoires consacrent encore à l’agriculture. Conditions, entre autres, favorables à une orientation vers une autosuffisance-sécurité alimentaire relocalisée au maximum dans un faible rayon géographique, sans pour autant entraver la possibilité maîtrisée de productions exportables (vins, fruits…)

Commentaires et interrogations

La Biovallée présente actuellement de nombreux atouts (eau, bonnes terres, forêts, climat, polyculture, motivations de nombreux habitants…) pour le développement d’une économie agricole territorialisée :

  • tendant vers l’autosuffisante alimentaire
  • orientée vers le bio
  • rapprochant producteurs et consommateurs
  • réduisant les transports
  • permettant à des agriculteurs et des agricultrices de s’installer et de vivre décemment.

Toutefois le développement de cette orientation, déjà amorcée depuis plusieurs années (la Drôme est le département le plus bio de France) pourrait rencontrer de sérieux obstacles :

  • le non-renouvellement de la population paysanne. Comment assurer des conditions de travail et des revenus permettant aux agriculteurs de vivre de façon satisfaisante et d’être reconnus dans le rôle prépondérant qu’ils exercent dans un pays ? Quelles perspectives pour l’emploi agricole ?
  • l’accroissement constant de la population en résidence permanente et de passage (tourisme). Quelles seraient les limites à fixer ? Est-il possible de mesurer l’impact des résidences secondaires ?
  • la chaleur et la sécheresse. La question du climat est certes planétaire, mais l’action locale n’est pas pour autant négligeable : quelles actions existent et qu’est-ce qui serait à développer ? Bilan carbone de la vallée ?
  • le manque d’eau. La rivière Drôme, depuis le col de Carabès où elle prend sa source, traverse la vallée sur toute sa longueur et fournit en eau de nombreuses exploitations agricoles, mais « la Drôme et ses affluents connaissent des étiages sévères en période estivale. La totalité du bassin-versant est classée en Zone de Répartition des Eaux depuis 2010. Cela signifie qu’il y a une insuffisance quantitative des ressources en eau récurrente par rapport aux besoins. » [Syndicat mixte de la rivière Drôme | SMRD]. L’eau, bien commun : saurons-nous être sage ? titrait cet organisme pour une réunion publique… Existe-t-il des cultures économes en eau ?

Autres questions :

  • Quelle part pour l’alimentation carnée ?
  • Dans le domaine alimentaire, peut-on mesurer ce que la Biovallée exporte, vers où ? et importe, d’où ?
  • développement de la traction animale, pour quels usages ?
  • Comment faire évoluer les habitudes alimentaires ?
  • comment réguler la propriété foncière agricole ? Droits d’usage des terrains communaux ?

Comment ces interrogations et d’autres qui viendront certainement, pourraient-elles être abordées ? La première condition est sans doute que les différents acteurs de la Bio-Vallée s’en emparent ou continuent à le faire. Les façons de les traiter sont nombreuses : communale, inter-communale, associative… Citons par exemple les PAT “Projets alimentaires territoriaux” qui « ont pour objectif de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines. Issus de la “Loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation” qui encourage leur développement depuis 2014. Ils sont élaborés de manière collective à l’initiative des acteurs d’un territoire (collectivités, entreprises agricoles et agroalimentaires, artisans, citoyens etc.) ». [Alim’agri, ministère de l’agriculture et de l’alimentation / 2018]

« Des Glaneuses » J-F. Millet, 1857. Musée d’Orsay Paris

Compléments

Alimentation : la vallée est-elle autosuffisante ?  Le Crestois | Angela Bolis mars 2020

Les Jardins nourriciers du Diois

association loi 1901 issue de l’initiative de personnes engagées au profit des questions d’agriculture, d’alimentation, d’écologie, mais également du vivre ensemble, de la préservation des savoir-faire traditionnels agraires et des cultures locales. L’initiative s’est construite au travers d’une démarche citoyenne rassemblant d’abord les habitants d’un même quartier d’un village de la région de Die, dans la Drôme, autour d’un projet commun : contribuer à faire vivre et revivre la terre par des jardins nourriciers coopératifs.

L’association a été fondée en mai 2016, à Die (26150) et regroupe des jardiniers-maraîchers amateurs, des propriétaires de jardins et des consommateurs autour de cet objet commun. Elle est ouverte à tous.

Consulter bibliographie agriculture, alimentation…

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Le Fruit commun du Versant du soleil, un goût de Beaufort

De la nécessité des communs

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“Les biens communs sont parmi nous” titrait le Monde[1] il y a quelques mois ; en effet depuis une dizaine d’années cette notion de biens communs attire l’attention non seulement de nombreux chercheurs mais aussi de politiciens de tous bords, certains y voyant un possible renouvellement des pratiques politiques de la gouvernance de la cité (polis), d’autres en faisant même la possible révolution du XXIe siècle… Je propose une démarche plus pragmatique, en allant à la rencontre de ceux et celles qui choisissent “le chemin de faire” balisé d’expériences collectives solidement ancrées dans la réalité, parfois depuis longtemps. « L’avenir est ce que l’on fait aujourd’hui. Demain est déjà trop tard. »

Aujourd’hui il sera question de pastoralisme en Tarentaise, plus particulièrement à Plan Pichu, un alpage d’été, une ‘’montagne’’ comme on dit là-bas, située sur le Versant du soleil (ou l’Adret) de la moyenne vallée de la Tarentaise, aux pieds du Cormet d’Arêches et au-dessus du village de Granier (365 habitants) et du gros bourg d’Aime (3.540 habitants)

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, un rappel de la définition du concept de bien commun (d’après David Bollier, La renaissance des communs) :

Un commun est issu :

  • d’une ressource du domaine de la nécessité, c’est-à-dire les ressources les plus vitales (air, eau, croûte terrestre) et ce qui en découlent : énergie, logement, santé, connaissance et culture…
  • d’un collectif (ou communauté) s’intéressant à cette ressource et voulant l’utiliser
  • d’un ensemble de règles de gouvernance de cette ressource co-définies par le collectif ;

ces trois éléments formant un tout social, économique et démocratique, intégré dans un environnement territorial bien délimité, ce tout étant constitutif d’un commun

Le pastoralisme commun en Tarentaise, l’exemple de Plan Pichu

Mettre en titre “Plan Pichu” tient plus de la poésie que de la réalité, en effet il s’agit du nom donné à un pâturage communal d’été, et qui est l’une des ressources essentielles d’un système comprenant plusieurs structures collectives que nous allons peu à peu découvrir.

Cette expérience de pastoralisme se rattache fondamentalement à deux ressources naturelles-clés : d’une part, la terre avec les pâturages d’altitude et, à proximité du village, les terres cultivables largement consacrées à la production du foin nécessaire à la nourriture des animaux pour les longs mois d’hiver (1,5 tonne par vache) ; d’autre part, l’eau : le Versant du soleil est pauvre en sources, d’où l’importance accordée à l’Ormente, torrent à gros débit qui prend sa source à proximité du Cormet d’Arêches, est en partie capté par EDF. Quelles relations les habitants de ce vaste canton établissent-ils avec ces ressources naturelles, comment sont-elles à l’origine de communs ? C’est ce que nous allons chercher à découvrir.

1. Une réalité problématique

Dans la vallée de la Tarentaise l’organisation en communs remonte au XIe siècle grâce à des communautés monastiques qui arrivent à convaincre quelques paysans vivant chichement en autarcie, “d’essarter” (défricher) les pentes de la montagne pour les transformer en pâturages d’été. Peu à peu ces pâturages deviennent des communs sous forme “d’albergements”, c’est-à-dire des concessions sur du très long terme avec droit d’usage, concessions qui peu à peu seront récupérées par les communes. C’est l’une des caractéristiques historiques de cette vallée où encore aujourd’hui 75% des pâturages d’été sont communaux. « C’est la propriété commune qui a fait le premier et le plus solide lien entre les membres de l’association communale, qui les a groupés et leur a révélé leur solidarité, qui leur a dicté leurs plus anciennes institutions. C’est dans les régions les plus alpestres, plus favorables à la création et au maintien de la propriété collective, que les communes ont été les plus grandes propriétaires, et c’est là que la vie communale a éclos d’abord et s’est développée le plus activement[2] «  [Gabriel Pérouse]. Pour assurer l’été un gros travail de fenaison, les paysans éleveurs doivent rester dans la vallée, aussi embauchent-ils des bergers et des fromagers pour une centaine de jours généralement de la Saint-Jean, jour de l’“emmontagnée”, à fin septembre pour la “démontagnée” ; ce système, toujours en vigueur, a un coût élevé et qui se répercute bien entendu sur le prix du fromage.

Une bonne partie du lait récolté est convertie en fromage à pâte pressée en meules de grosses tailles afin d’en faciliter le transport et la conservation. Ce fromage s’est nommé tout d’abord “vachelin” (il pèse 10 kg), puis “govire” ou gruyère à partir du XVIIe siècle, l’appellation “Beaufort” (meules de 40 kg) datant de 1865. Fabriquer une meule de ce poids nécessite quotidiennement 500 litres de lait cru et un agriculteur de montagne, dont le troupeau comprenait généralement 3 ou 4 vaches laitières, ne peut donc y parvenir à lui seul ; ce qui fait que les éleveurs se regroupaient en fruitières coopératives, et c’est ainsi que le commun naît de la nécessité.

Menace sur le Beaufort !

La Seconde guerre mondiale et les années qui suivent provoquent la mévente du Beaufort ; les années 1950 sont désastreuses, avec comme conséquence de plus en plus d’arrêts d’exploitations ; l’attrait d’un travail plus rémunérateur dans les stations de ski y est aussi pour quelque chose, le développement rapide de ces stations générant également une importante spéculation foncière au détriment du pastoralisme.

Mais un homme n’admet pas la mort de l’agriculture de proximité dans une montagne qui serait laissée peu à peu en friche, et entraînerait la disparition du Beaufort. Maxime Viallet, formé à l’école de la Jeunesse Agricole Catholique (JAC. “Voir, juger, agir, ensemble !”) prend son bâton de militant syndicaliste de la FDSEA et part en guerre contre le risque de désertification d’une partie de la montagne : « quand on voit le luxe de certaines stations, quand on voit les profits des spéculateurs sur nos terres de montagnes, quand par ailleurs nous voyons les paysans, ceux qui petit à petit l’entretiennent depuis toujours, réduits à une condition de plus en plus misérable : il y a un scandale que nous dénonçons ». Il rassemble nombre d’éleveurs pour créer la Coopérative laitière du Beaufortain en 1960 et l’Union des producteurs de Beaufort (UPB) en 1964 : « le plus important dans cette longue marche du Beaufort, c’est toute cette prise en charge des problèmes du milieu par le milieu lui-même », aidé en cela dès 1970 par l’Institut national de la recherche agronomique : « L’INRA a apporté un concours déterminant en aidant la transformation d’un savoir-faire empirique en un nouveau savoir-faire renouvelant l’ancien par des données scientifiques véritables sans toucher aux qualités essentielles et intrinsèques du produit […] Ce fut une œuvre exemplaire de sauvetage de l’agriculture de montagne de notre région en faisant confiance à des agriculteurs prenant en charge leurs responsabilités. » [M. Viallet]. Comment le village de Granier s’est-il inscrit dans ce mouvement ?

2. Leadership

« René (Chenal), c’est clair, c’est lui qui a eu l’idée… Il a été le premier à se rendre compte de la réalité et il a fallu ensuite que des gens accrochent. » [un fondateur du GAEC] (Les citations de René Chenal, issues de deux entretiens, sont signalées par [R.C], celles d’autres témoins en provenance des différentes sources indiquées à la fin de ce document, sont le plus souvent anonymes)

D’où vient cette idée ? « C’est peut-être moi qui l’ai dite, mais elle provient de quelque chose de très ancrée en nous : la passion de la montagne. Je suis fils, petit-fils d’agriculteurs montagnards à la vie rude ; mon père, comme beaucoup d’autres ici, avait ce qu’on appelle la “double activité” c’est-à-dire son travail d’agriculteur, et comme 3 ou 4 vaches n’assurent pas un revenu suffisant, il avait aussi ses huit heures sur des chantiers plus les heures de transport. Ce qui fait que mes parents ne souhaitaient pas que je connaisse cette vie très contraignante, et ce d’autant plus qu’à cette époque le Beaufort ne marchait pas très fort ! Aussi ils m’ont poussé à faire des études, ce que j’ai fait, mais toutes les périodes de vacances je les passais au village où je voyais bien que les paysans commençaient à s’arrêter les uns après les autres. Or j’aime ce village, cette terre, le pastoralisme m’est chevillé au corps, c’est une véritable passion et je n’avais pas envie que tout cela disparaisse, aussi j’ai voulu continuer le travail de mes parents mais en l’adaptant au monde moderne. En montagne, tu ne peux pas t’en sortir seul et le collectif est une nécessité, il a donc fallu que je m’adresse aux copains » [R.C]

Ce ne fut semble-t-il pas trop difficile car cette passion du pastoralisme en montagne est souvent partagée, Cornelia Beyerbach le confirme dans une étude de la Fondation Facim : « La finalité du métier n’est pas tant la performance, mais le travail en lui-même en tant que source de plaisir en même temps que source de revenus. La passion pour ce métier qui repose sur les interactions fines entre les savoir-faire de l’homme, les animaux et la nature, constitue le dénominateur commun entre les différents témoignages. »

3. Naissance d’un collectif

Ainsi, en 1975 plusieurs éleveurs rejoignent René Chenal et se disent prêts à sauver l’agriculture à Granier en envisageant quelque chose de commun avec une orientation claire : « au début des années 70, on était en plein dans une politique agricole productiviste à tout crin, définie par des technocrates qui ne connaissaient pas grand-chose de l’agriculture en montagne ; une vache, fallait la considérer comme une usine à lait ! Le risque était que les paysans deviennent exclusivement producteurs de matière première. On ne voulait pas tomber dans un système où le lait est ramassé par des industriels du fromage comme ça commençait à se faire ; on nous conseillait aussi de garder nos troupeaux dans la vallée en achetant du foin un peu partout parce que “ça vous reviendrait moins cher ” disaient-ils ! La qualité ce n’est pas cela, elle suppose que les vaches mangent l’herbe de l’alpage l’été et l’hiver le foin que nous  ramassons sur nos terres , ce qui suppose que nous gardions la maîtrise complète de toute la chaîne de production du fromage. Face à cette soi-disant modernisation, il nous a fallu repenser le pastoralisme à Granier de façon plus collective ; c’est ce qui se pratiquait depuis longtemps dans les alpages d’été et on s’est dit “transportons ce modèle vers le bas !” Bon, c’était de belles paroles mais comment faire et avec quels moyens ? » [R.C]

C’est un représentant en matériel agricole qui leur suggère d’aller voir ce qui se passe dans le Valais Suisse et là ils découvrent le consortage, “partager un sort” : « par consortage on entend une gestion communautaire du travail et des biens collectifs, […] les consortages d’alpages et des eaux sont les plus répandus. […] En tant que membres d’un consortage, les usagers sont à la fois propriétaires et gestionnaires des biens communautaires. […] Ses fonctions écologiques et sociales confèrent au système de consortage un immense potentiel pour le futur. Des biens comme l’eau, le sol, les semences… doivent être considérés comme patrimoine commun. […] Forme d’organisation expérimentée pour la protection et la jouissance des biens communautaires ainsi que des ressources naturelles, le système de consortage pourrait, pour cette raison précisément, devenir un modèle de gestion durable de la nature et de l’environnement. » [Thomas Antonietti, Consortage en Valais | 2012]

« On est revenus enthousiastes en se disant “c’est ça qu’il faut faire” ! On a pris contact avec les conseillers de la Chambre d’agriculture de Savoie pour savoir comment on pouvait s’y prendre et avec eux on a posé les premières bases d’un projet sous forme d’un Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) » [R.C] Puis le projet est présenté à l’ensemble du village qui comprenait encore à cette époque une quarantaine d’éleveurs. « On ne peut pas dire que l’on a déclenché l’enthousiasme ! On nous prenait pour des fous et beaucoup pensaient qu’on allait rapidement se casser la figure. C’est vrai que ça demandait des investissements financiers avec des emprunts importants pour la construction des étables en stabulation libre, de la grange à foin et d’un local pour le matériel agricole sans aucune certitude de réussite… On s’est quand même retrouvés à quinze puis au fil du temps à huit pour vraiment démarrer en novembre 1978 le GAEC le Consortage, nommé ainsi parce ce fut notre inspiration. Ces huit se connaissaient bien, l’école, les corvées à l’alpage, les fêtes… et on avait une forte volonté commune de faire vivre le village. On a commencé avec 40 vaches laitières, puis 80, aujourd’hui c’est 120. » [l’un des fondateurs]

Actuellement les plus jeunes sociétaires du GAEC ne voient que des avantages à cette formule : « ce collectif nous permet de ne pas être toujours pris par le travail agricole. J’ai besoin d’une double activité et en hiver je suis moniteur de ski. Je fais donc la traite du matin, puis je monte en station, et en rentrant en fin d’après-midi je m’occupe d’autres tâches à la ferme. On peut aussi avoir des congés, voyager, assister à des réunions… Si j’étais seul, je ne pourrais rien faire de tout cela. » [un jeune associé du GAEC, ancien berger]

4. Limites d’un territoire

« Plutôt que territoire je préfère parler de terroir, expression plus forte et qui renvoie à une culture, à un mode de vie lié à la montagne. Cette culture est faite de savoir-faire transmis de génération en génération, de pratiques collectives, de pastoralisme soucieux de l’environnement montagnard, de la qualité d’un fromage labellisé… » [R.C]

Le label (AOC et AOP en 2009) Beaufort concerne trois vallées : le Beaufortain, la Maurienne et la Tarentaise. Le terroir dont nous parlons ici, peut se délimiter ainsi : au point le plus bas à 600 m. d’altitude, on est à Aime (Chef-lieu de canton) avec son importante Coopérative laitière Neige et Soleil (production du Beaufort d’hiver et caves d’affinage été/hiver) et la Société d’intérêt collectif agricole (SICA) du Replat (commercialisation), puis en remontant le Versant du soleil on arrive à Granier (1 240 m.). avec le GAEC le Consortage (élevage de vaches de race tarine ou tarentaise). Granier bénéficie de deux avantages (ou inconvénients suivant les points de vue des uns ou des autres) : d’une part, le village, bien que protégé, est dans une zone avalancheuse (La dernière avalanche arrivée jusqu’au village date de 1981), ce qui interdit pratiquement toutes nouvelles constructions ; d’autre part, l’ensoleillement est important et la neige, même abondante, fond rapidement, ce qui empêche tout projet de création d’une grande station de sports d’hiver. Ces deux facteurs font donc obstacle à la spéculation et pour vivre, la commune doit s’appuyer sur le pastoralisme et le tourisme de randonnées d’hiver et d’été, avec développement des possibilités d’hébergement en gîtes et chambres d’hôtes.

On parvient enfin aux pâturages de Plan Pichu qui débutent vers 1 500 m. et grimpent en direction du Cormet d’Arêches jusqu’à 2 300 m. Les principaux locaux (chalets d’alpage pour le logement des bergers et les ateliers de fabrication du Beaufort d’été) sont à 1 900 m. Alpage et bâti sont gérés par un Groupement pastoral sous statut coopérative (créée officiellement en 1999), six GAEC de la région et quelques agriculteurs indépendants en sont les associés.

Le GAEC le Consortage est naturellement un usager de l’alpage de Plan Pichu, il en est devenu un élément pilote, ne serait-ce que par sa continuité géographique et son lien administratif avec la commune de Granier. L’alpage rassemble pendant les 100 jours de l’été, 420 vaches laitières réparties en trois troupeaux dont s’occupent sept bergers et bergères. Le lait est converti directement sur place dans un atelier très moderne dont s’occupent deux fromagers spécialistes. La rétribution d’un éleveur utilisateur de l’alpage se fait en fonction de la production laitière de chacune de ses vaches ; cette production est mesurée deux fois durant l’été au cours du cérémonial rigoureux de la pesée. Un troupeau de moutons est également utilisateur de l’alpage. L’électricité domestique est fournie par une turbine installée sur le torrent et par des groupes électrogènes pour les machines de la fromagerie.

Même si les conditions de travail se sont sérieusement améliorées, la vie de berger est rude. La journée de travail commence avec la première traite à 3 heures du matin et se termine guère avant 9 heures du soir avec quelques d’arrêts dont un temps de sieste avant la traite de l’après-midi. En dehors des deux traites quotidiennes, et quel que soit le temps, les bergers sont occupés à déplacer les machines à traire, à installer les clôtures, parfois à courir après les bêtes quand les clôtures ont été mal refermées ou abîmées par les touristes, à faire de l’entretien… « Bien qu’on ait deux jours de congés toutes les deux semaines, il est vrai que ce travail en montagne rend difficile une vie de famille… Mais je ne pourrai pas m’en passer tant que j’en serai capable. J’aime la montagne, j’aime passionnément ce travail… Et quand je me retrouve dans la vallée fin septembre je me sens complètement déphasée pendant quinze jours ! » [une bergère]

5. Propriété des biens

Les 1.200 hectares d’alpage et le bâti de Plan Pichu sont la propriété de la commune de Granier. Le Groupement pastoral bénéficie d’un droit d’usage et assure à ses frais (budget annuel d’environ 15 000 €) l’entretien et l’amélioration de l’alpage, des locaux et des chemins.

Pour les terres agricoles de Granier : « avant la création du GAEC ces terres se répartissaient dans de multiples parcelles (environ 10.000) dont certaines faisaient à peine 300 m² ! On a alors entrepris un gros travail de remembrement afin de faciliter le travail de fauche. Le fait qu’une grande partie des terres cultivables soit entrée dans un commun, a-t-il changé notre relation à la terre, se sent-on dépossédé ? Je ne crois pas, c’était devenu nécessaire pour la sauvegarde d’une activité agricole à Granier et on a gardé la même passion de la culture. Toutefois un paysan conserve toujours quelques ares pour ses pommes de terre, un peu de grain… ; j’ai encore un bout de vigne et je fais mon vin à 800 m. d’altitude ! Aujourd’hui, le GAEC reste le seul éleveur de bovins en activité sur la commune ; il y a aussi un éleveur de chevaux et un éleveur de chèvres. » [R.C]

Le bâti du GAEC est la propriété des huit associés, les terres qui vont avec (environ 400 hectares), sont gérées par un Groupement foncier agricole (GFA) ce qui permet la transmission par parts ; les “anciens” quand ils s’arrêtent, peuvent garder des parts et un jeune entrant au GAEC sans fonds personnels peut débuter uniquement avec la dotation jeune agriculteur  (DJA), un peu moins de 30 000 € dans la région, et augmenter ses parts par la suite.

Le matériel agricole et de terrassement (tractopelle…) est pris en charge par une Coopérative d’utilisation du matériel agricole (CUMA du Cormet) dont la zone d’action va au-delà de Granier. Cette coopérative assure également le suivi et l’entretien d’un important réseau de canaux d’irrigation des prairies de Granier.

Nous observons là, une approche non spéculative à multiples facettes de la propriété foncière conçue de manière collective. Est-ce pleinement satisfaisant ? Sans vraiment avoir approfondi pour l’instant cette question, il ne semble pas qu’il y ait beaucoup de réserves sur ces différentes possibilités juridiques, sinon peut-être pour la gestion du temps (nombreuses réunions) aspect qui sera abordé un peu plus loin.

6. Gouvernance du fruit commun

Dans les instances de décision des différentes structures évoquées plus haut, la règle de l’unanimité prévaut : « il est rare que nous soyons amenés à vraiment formaliser un vote. Je n’ai souvenir que d’un point que nous n’avons pas pu vraiment trancher : faut-il laisser leurs cornes aux vaches ? » [R.C]. Hors obligations légales, plusieurs structures originales ont été créées, ainsi :

  • pour le GAEC le Consortage : « on a mis en place une banque du travail : le revenu ne se répartit pas en fonction du nombre de part détenues, mais en fonction du temps de travail réellement effectué par chacun avec un système d’unités déterminées par ce que l’on fait, par exemple : 1 heure de râteau = 1 unité ; 1 heure de fauche motorisée = 1 unité + 1 unité pour le matériel, etc. Chacun note quotidiennement ses unités. C’est basé sur une grande confiance entre nous. » [R.C]
  • pour le Groupement pastoral : les “corvées” assurent les gros travaux d’entretien des pâturages (éviter le développement des arcosses : arbustes transformant rapidement l’alpage en maquis), des chalets (réparations et amélioration de leur confort), des chemins (doivent rester carrossables pour déplacer les machines à traire mobiles), du torrent et des canaux d’irrigation… : « nous faisons de l’entretien, du débroussaillage, du traitement de certaines plantes indésirables pied par pied, ce n’est pas du traitement à l’hélicoptère ! » [un éleveur du GAEC]. Les heures de “corvées” sont faites par les membres du Groupement pastoral à raison de quatre heures annuelles par tête de bétail : « le système des corvées est très ancien ; c’est une charge mais on ne peut multiplier les salaires, la priorité étant les bergers et les fromagers. Nous avons aussi d’importantes contraintes réglementaires puisque la labellisation du Beaufort crée des obligations : fumure naturelle des prairies, pas d’OGM, pas d’ensilage, fourrage produit localement… Tout cela fait que les paysans sont des acteurs efficaces pour la protection de l’environnement montagnard » [R.C]

Pour les vaches qui “dérochent” (en moyenne une par saison), « on a créé un fonds d’entraide où chaque éleveur verse annuellement une cotisation, ce qui permet d’indemniser les propriétaires des bêtes accidentées » [R.C]

7. Polycentrisme

Le Fruit commun de Plan Pichu génère sept instances de gouvernance toutes en gestion directe et dans lesquelles les sociétaires sont nécessairement impliqués. Si l’on ajoute la commune, le syndicat de défense du Beaufort, la Chambre d’agriculture, les syndicats de défense des agriculteurs (FDSEA, Confédération paysanne), où ceux-ci ont tout intérêt à être présents, on se rend compte du temps de réunions que cela nécessite : « L’équilibre est difficile à trouver et je crains un peu que les plus jeunes ne trouvent plus le temps de se réunir, ils sont en effet tous en double activité, alors qu’il faut du temps pour réfléchir ensemble et si on ne le prends pas, j’ai bien peur que l’on s’en remette à des techniciens qui décideront sans trop connaître le pastoralisme, alors que la force et la qualité du Beaufort vient en grande partie de son mode de fabrication resté aux mains des paysans. Pour moi le collectif est la seule solution à la gestion de ce temps de la rencontre, de l’analyse, de la réflexion globale, de la décision… et cela s’apprend, mais je ne suis pas sûr que la formation en général, telle qu’elle est aujourd’hui, prépare les jeunes à cela. » [R.C]

Le schéma qui suit, rassemble les données de la gouvernance polycentrique du pastoralisme en communs à Plan Pichu et à Granier.

8. Passagers clandestins

Tout dispositif commun comporte des risques d’intrusions, ce que Elinor Ostrom[3] nomme “les passagers clandestins”, c’est-à-dire ceux qui cherchent à profiter du bien commun sans en subir les contraintes et peuvent en entraver le bon fonctionnement. Deux exemples ont été évoqués :

La présence de loups : il y a quelques d’années, des loups ont provoqué de gros dégâts dans un troupeau de moutons : « l’éleveur, complètement découragé, a tout arrêté. Puis les loups ont fini par disparaître, comment ? je ne sais pas. Les loups ne s’en prennent pas aux vaches, enfin je n’en ai jamais entendu parlé, mais on reste attentif parce que des moutons il y en a de nouveau sur l’alpage. » [R.C] Le loup, dont le développement est mesuré et étroitement surveillé, fait l’objet de nombreux conflits entre éleveurs, environnementalistes et services de l’État. Le problème est complexe et ne peut être développé ici, aussi je renvoie, entre autres, à une tribune parue dans le journal LibérationLoups : plaidoyer pour des écosystèmes non désertés par les bergers

Quelques touristes (surtout des motorisés) négligent parfois les consignes de randonnées traversant les alpages : « Des points d’accroche entre touristes et agriculteurs, qu’il s’agisse des barrières ou clôtures qui restent ouvertes, des fils qui ne sont pas remis, ou des déchets jetés par terre…, peuvent rendre difficile la cohabitation entre les agriculteurs et les autres usagers de la montagne. Le problème consiste moins dans l’incompatibilité entre les différentes activités que dans la méconnaissance du monde agricole et pastoral par des acteurs extérieurs qui viennent en montagne essentiellement pour leurs loisirs. Ces conceptions divergentes sont à l’origine des conflits d’usage parfois récurrents qui amènent aujourd’hui les agriculteurs à exprimer leur souhait de mettre en place ou d’améliorer les formes de communication envers les autres utilisateurs de la montagne, notamment les touristes. » [un agriculteur]. Toutefois ces rares incidents sont résolus le plus souvent à l’amiable. « Des touristes, on en a besoin, ils achètent du Beaufort et le font connaître. L’été à Plan Pichu, il y a beaucoup de monde pour participer aux visites et aux fêtes d’alpage organisées régulièrement » [R.C]. « L’activité touristique représente pour l’agriculture dans son ensemble une importante source de revenu, à travers notamment la double-activité laquelle constitue une des spécificités de l’agriculture de montagne. Déterminante dans le maintien des exploitations agricoles, l’activité touristique est encore aujourd’hui un important facteur de développement local, indispensable pour l’attractivité des territoires. » [Cornelia Beyerbach]

9. Gestion des conflits

Là comme ailleurs, une gouvernance collective polycentrique n’est pas exempte de moments de déception, d’inquiétude, pouvant être à l’origine de conflits plus ou moins importants. En admettre la réalité est la première condition pour trouver des méthodes de résolution adaptées. J’ai retenu trois situations dans l’histoire de Plan Pichu :

  • Lors de la création du GAEC le Consortage en 1978, les éleveurs utilisateurs habituels des alpages de Plan Pichu (le Groupement pastoral n’existait pas encore officiellement) ont manifesté beaucoup d’inquiétude : « ils avaient l’impression que l’on allait tout prendre ! leurs terres, leurs vaches… Ce fut un moment difficile avec pas mal de tensions. Pour un peu ils nous auraient traités de communistes ! Se faire accepter a été long, mais en montagne on sait ce qu’est la patience, on sait regarder et peu à peu les paysans se sont bien rendus compte que le devenir de la montagne était dans le collectif avec la mise en commun de moyens nouveaux, c’est ainsi que l’on a fait l’acquisition à partir de 1980 de machines à traire mobiles, ce qui a complètement changé le travail en alpage. » [R.C]
  • Vers 1980 l’un des membres fondateurs du GAEC s’est totalement désinvesti : « ce n’était plus son affaire. Au bout d’un moment on a décidé de lui demander de se retirer. Ce fut vraiment difficile à vivre mais on est arrivés à se mettre d’accord assez rapidement. » [R.C]
  • Pendant l’été à l’alpage, les bergers et les fromagers vivent quotidiennement très proches : « les conditions de travail sont difficiles : quel que soit le temps on doit sortir, aller traire à 3 heures du matin avec la pluie, voire la neige, ce n’est pas évident ! Et parfois, la fatigue aidant, il y a des tensions qui naissent entre nous, même pour des riens… Alors on s’explique, et puis ce n’est pas l’espace qui manque, et on peut toujours aller faire quelques pas dans la montagne, ça calme ! » [une bergère]

Jusqu’à présent, tant au GAEC qu’au Groupement pastoral, les conflits se sont réglés à l’amiable et sans recours extérieurs, « mais en cas de besoin, pas de problème cela se ferait. J’ai entendu dire que la médiation était un outil de plus en plus utilisé dans les GAEC, alors pourquoi pas si ça permet de sortir d’une situation conflictuelle qui dure trop… » [R.C] « La médiation par sa souplesse, son faible coût et sa force de pacification, permet de gérer des conflits qui déboucheraient pour la plupart sinon dans des procès du moins sur des fractures irréparables. Le développement de la médiation agricole peut s’expliquer principalement par le déclin des médiateurs traditionnels (curé, maître, maire)[4]«  [Lionel Bobot]

10. Engagement des acteurs publics

Tout au début de ce document il a été fait allusion au rôle important joué par l’INRA dans les années 1970 pour le sauvetage de la production du Beaufort. Aujourd’hui, la commune de Granier, la Communauté des communes des Versants d’Aime et la Chambre d’agriculture de Savoie, paraissent être les acteurs publics les plus concernés par le pastoralisme dans la moyenne vallée de Tarentaise dont celui du Versant du soleil ; cette activité participe en effet au développement local (emploi, commerce, entretien de la montagne…) et les élus ne peuvent que la soutenir et l’encourager. Dans le système de gouvernance que je viens de présenter, ces élus, s’ils sont éleveurs, ne représentent pas leur institution d’appartenance, contrairement à d’autres endroits où des élus gardent la maîtrise des décisions, c’est le cas par exemple pour l’Institut Patrimoniale du Haut-Béarn qui coordonne 100.000 hectares de pâturages et forêts en communs.

11. Réseaux

« Le GAEC le Consortage a été, je crois bien, le premier de ce type collectif non familial en Tarentaise. On a été un groupe leader dans la région avec une idée forte : s’opposer à des supers pouvoirs intoxiquant qui veulent tout accaparer. On a été beaucoup médiatisé et visité et depuis, plusieurs GAEC se sont créés dans la région. » [R.C] Ce que confirme un jeune agriculteur : « je n’ai pas envie de vivre comme mon père, on a besoin d’avoir une vie sociale. Je suis passionné d’agriculture, je défendrai l’agriculture jusqu’à la fin de ma vie, mais ce n’est pas pour ça que j’irai m’enterrer et finir à bosser cent heures par semaine, et tout sacrifier. […] Je pense qu’il y a de plus en plus d’installations qui se font dans le cadre d’un GAEC […] L’agriculture, je la vois comme ça, de plus en plus collective, et ce n’est pas pour ça qu’elle sera moins performante ou qu’elle entretiendra moins les alpages. »

« On est aussi présents et actifs dans le Syndicat de défense du fromage Beaufort, cette organisation joue un rôle important dans la promotion non seulement de ce que nous produisons mais aussi comment nous le produisons, dans quelles conditions… » [R.C]

Conclusion

La présentation du Fruit commun de Plan Pichu telle qu’elle vient d’être faite, nous ramène à la définition proposée au début de ce document : il y a des ressources naturelles, la terre de l’alpage et de Granier, et l’eau du torrent ; il y a un collectif ou plus exactement plusieurs collectifs étroitement liés les uns aux autres ; enfin ces collectifs se sont dotés de règles démocratiques de gouvernance, qui paraissent solides et posent, semble-t-il, peu de problèmes. Enfin, j’espère avoir su démontrer qu’il s’agissait bien d’un tout social, économique et environnemental, historiquement ancré dans la montagne de Tarentaise. Cet ensemble ne fait référence à aucune idéologie explicite, seule “la nécessité fait loi” pourrait-on dire ; nécessité venant du temps, qu’il soit horaire ou atmosphérique, et de l’espace géographique de la montagne. Ce temps et cet espace liés à des ressources naturelles, apparaissent alors comme les déterminants de la construction d’un commun dont l’avenir dépend de la vente du Beaufort qui doit rester un fromage d’exception non industrialisé, sur un marché où il est difficile de faire sa place : « la rencontre entre le pastoralisme du Beaufortain et le marché doit trouver un équilibre sur du long terme. Et pour les éleveurs, comme le seul revenu du fromage ne suffit que très rarement, pourquoi ne pas envisager de rémunérer une partie du travail citoyen qu’ils assurent pour l’entretien et la protection de la montagne ? Je pense que cette idée permettrait de stabiliser un peu plus l’emploi agricole en montagne. » [R.C]

Il existe en effet un risque réel de voir disparaître l’emploi agricole en montagne, ainsi de 1976 à 2006 en Tarentaise, 80% des fermes n’ont pas retrouvé de repreneurs [PSADER][12]. Si depuis la situation s’est stabilisée, elle demeure cependant fragile, les jeunes agriculteurs rencontrant toujours autant de difficultés s’ils veulent s’installer seuls : « les enjeux qui conditionnent aujourd’hui l’agriculture de montagne (maîtrise du produit et sa mise au marché, modernisation des exploitations, pression foncière, conflits d’usage, prise en compte des aspects environnementaux, etc.), posent la question des perspectives d’avenir de l’activité agropastorale sur ces territoires de haute montagne » [Cornelia Beyerbach] et cela passe par une dynamique collective, cette dynamique « il faut qu’on l’entretienne, il faut que ça reste une volonté de tout le monde. Au Syndicat de défense, ils ont mis en place une formation pour tous les nouveaux entrants dans la filière du Beaufort […] où ils leur expliquent tout l’historique de l’AOC Beaufort et tout l’historique de ce collectif, des gens qui ont travaillé ensemble, pour faire bien comprendre à tous que le Beaufort c’est bien, parce que c’est le lait le mieux payé de France, mais c’est surtout une dynamique qui ne doit pas mourir […] Transmettre le fait que si ça a marché c’est parce qu’à un moment, il y a les gens qui se sont tenus par la main et qui ont créé le Beaufort, et si on veut que ça continue il ne faut pas que ça change, il faut rester dans cet esprit de collectif. » (un éleveur).

Collectif… ce mot je l’ai entendu peut-être trente fois lors de nos entretiens avec René Chenal, on y prend goût…, un goût de Beaufort peut-être ?

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Sources de l’enquête

1. entretiens en juin et juillet 2014 avec René Chenal, l’un des fondateurs du GAEC du Consortage à Granier

2. documents audio-visuelles :

* “La Montagne au sept bergers”. Film documentaire d’Anne et Erik Lapied. 2006 (DVD)
* “Passion des montagnes”. émission RCF Savoie. Réalisation M. Berment. 2006
* “Projet Maison de l’alpage”, entretien avec R. Chenal par Isabelle. Chavanon, déc. 2008

3. documents écrits :

* “Dans l’ombre des stations géantes le Versant du soleil : un nouvel art d’aménager”. Louis Chabert, Académie de la Val d’Isère, 1991
* “Maxime Viallet, le paysan”. Jean Ningre, novembre 2003
* “Alpages et agropastoralisme en Tarentaise et Pays du Mont-Blanc. Étude ethnologique”. Cornelia Beyerbach. Fondation Facim, nov. 2010-nov.2011
* “Consortage en Valais”. Wikivalais, février 2012
* “Les alpages et la vie d’une communauté montagnarde : Beaufort du Moyen-Âge au XVIIe siècle”. Hélène Viallet, Académie salésienne, 1993
* “Les moines et la montagne en Savoie du nord”. Nicolas Carrier. Actes du 34e congrès de la Société des historiens médiévistes. Chambéry, 2003
* “Le bien commun ou les biens communs ?” Pierre Thomé, 2014,


NOTES

  1. Serge Audier. Le Monde.fr  16 mai 2014
  2. Pérouse G. « Introduction à l’inventaire sommaire des archives communales de l’arrondissement d’Albertville ». 1911. Cité par Hélène Viallet
  3. Ostrom E. Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche  des ressources naturelles. 2009, éd. De Boeck
  4. Bobot L. « Le développement de la médiation dans le monde agricole français » Économie rurale. N° 296 / nov. 2006

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