Immigration et loi

01

texte téléchargeable

« Le zinzin médiatique et le vertige électoral de quelques-uns ont fait perdre le Nord à tout le monde. À peine prononcé le mot migrant ou immigré que “Liberté – Égalité – Fraternité” se transforme, par fainéantise ou idéologie, en “peur – indifférence – humiliation et répression” » [Sébastien Nadot. Député de 2017 à 2022, président de la commission d’enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France | Assemblée nationale, novembre 2021]

Un énième projet de loiPour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” a été présenté au Conseil des ministres le 1er février 2023 par la Première ministre et les ministres de l’Intérieur, du Travail et de la Justice ; notons que les ministères des Solidarités, de la Santé et de l’Éducation Nationale n’en sont pas signataires. Sa conception a été inspirée par quatre avis ou rapports récents émis par : (1) l’Assemblée nationale : a) rapport d’enquête nov. 2021, sans aucun doute le plus ouvert à la recherche de politiques innovantes pour l’accueil des immigrés, mais sans la présence de députés de droite dans la commission d’enquête, b) avis oct.2022 | (2) le Sénat : rapport mai 2022, reconnu comme le plus “inspirant” | (3) la Cour des comptes : rapport janv. 2020. Une concertation avec associations et ONG de défense des droits des exilés a eu lieu en nov. 2022 sans vraiment de résultats : « Les concertations ont été faites sur la base de supports PowerPoint, c’était très frustrant, on survolait le sujet. Pour nous, c’est le point zéro de la discussion. » [Delphine Rouilleault, directrice de France Terre d’asile | Libération 5 déc. 2022]

Ce projet a été ajourné le 22 mars 2023 par décision présidentielle. Il sera “réagencé” en plusieurs propositions de lois. Un “saucissonnage” qui ne modifiera en rien les intentions premières du gouvernement : « Notre pays a besoin de concorde et de sérénité sur les questions d’immigration, et ce n’est clairement pas le chemin que nous prenons aujourd’hui.» [Delphine Rouilleault, directrice de France Terre d’asile, Le Monde | 23 mars 2023]

Les fonctions des ministres signataires indiquent déjà clairement les intentions de la loi : d’une part maîtriser les flux migratoires par des contrôles plus stricts des clandestins et des demandeurs d’asile, là il s’agit de “faire du chiffre”, en particulier en matière de OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) ; d’autre part, intégrer par le travail et la maîtrise de la langue française, “conditions sine qua non” pour obtenir un titre de séjour pluriannuel. « En un mot : nous visons l’efficacité, les mesures utiles et les effets concrets » [Élisabeth Borne, Débat sur la politique d’immigration, discours à l’Assemblée nationale | 6 déc. 2022], tout cela ayant déjà été affirmé lors des nombreuses précédentes lois. Ce projet, s’il aboutit, entraînera d’importantes modifications dans le “Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile” (CESEDA)

Parler d’immigration et d’intégration en France ou ailleurs, c’est parler de “l’étranger” et donc inévitablement distinguer le “eux” du “nous” : « La France n’y a pas échappé bien sûr, et cela d’autant moins qu’elle s’est précocement affirmée comme une terre d’immigration. L’étranger qui m’intéresse, ce n’est pas tant l’étranger de passage, à qui l’hospitalité est due, que celui qui prétend s’installer et devenir de la sorte un proche » [Laurent Dornel, Les représentations des étrangers au XIXe siècle. L’altérité en spectacle 1789-1918, éd. PUR, 2015]. Cette distinction, tant qu’elle n’est pas reconnue et déconstruite, peut conduire à altérer nos représentations de l’immigré pouvant aller jusqu’à le considérer comme un envahisseur qu’il conviendrait alors de rejeter.

L’Europe “terre d’immigration” ?

02Reportons-nous vers l’an 45000 avant notre ère sur le territoire sans frontières de l’actuelle Europe, pour un récit à la fois historique et légendaire. Nous sommes en pleine période glaciaire et seule la partie Sud de ce continent est suffisamment tempérée pour permettre aux humains de vivre de chasse et de cueillette. À ce moment-là, seules les tribus Néandertaliennes ont l’habitude depuis 350.000 années de se déplacer en Eurasie au gré des alternances glaciation / réchauffement (sur de très longues amplitudes à l’échelle des temps géologiques). Ces terres du Sud sont couvertes de forêts riches en gibiers de toutes sortes. Au fil de leur histoire, les Néandertaliens ont acquis des techniques de chasse qui les rendent capables de tuer des animaux de grandes tailles, “l’éléphant antique” par exemple. Ils ont également inventé la corde tissée avec des fibres d’écorce. Leurs tribus se développent et se multiplient avec peut-être la conscience d’être les seuls occupants de ce vaste territoire.

Aussi c’est avec étonnement qu’ils constatent l’arrivée d’hommes, de femmes et d’enfants quelques peu différents : plus grands, plus minces, à la peau peut-être plus foncée. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Doit-on construire des murs pour se protéger ? Il est cependant impossible que les nouveaux arrivants puissent faire le récit de leur très longue aventure débutée sans doute depuis plusieurs siècles, faute de repères spatio-temporels pour identifier et nommer leur parcours ; de plus ils ne parlent pas les mêmes langues ! On découvrira bien plus tard qu’il s’agit d’homo sapiens — dernière branche restante de la lignée des hominines— venant d’Afrique subsaharienne où il devenait difficile de se nourrir pour cause de sécheresse. Après de très longues étapes, ils parviennent enfin sur un territoire où le gibier abonde, et là ils déposent armes et bagages. Ils peuvent être aussi porteurs de quelques virus ou bactéries dont eux-mêmes seraient immunisés, mais pas les Néandertaliens, ce qui aura son importance dans l’avenir. La légende raconte que la chasse devient à certains endroits l’objet de rivalités tribales et il arrive que les Sapiens soient localement victimes de rejets, voire d’agressions physiques, ce qui n’est pas impossible car l’examen de leurs ossements a fait apparaître des traces de fractures, y compris à la tête.

Mais cette légende dit aussi que les Néandertaliens ont une organisation politique savante capable de réguler les situations difficiles. Pour cela, ils réunissent une fois par an – les trajets sont longs– pendant au moins l’équivalent de huit jours, une assemblée composée de 150 délégués désignés par les fédérations tribales des différentes régions de l’actuelle Europe du sud, hommes et femmes étant à parité. Pour faciliter la communication entre eux, alors que les dialectes locaux peuvent être très différents, ils sont parvenus à inventer un langage commun fait de gestes et de sons.

Cette Assemblée souveraine, dénommée Organisation des Tribus Unies (OTU), a mission d’étudier les questions d’intérêt général et d’envisager des solutions en votant lois et règlements à la majorité absolue. Les débats peuvent être passionnés mais sont modérés par des sages de grande expérience, ce qui permet d’éviter invectives, injures, voire bras d’honneur ! Un exécutif, composé d’un président élu au suffrage universel et de ministres choisis parmi les délégués ayant fait allégeance au président, est chargé de mettre en œuvre les lois élaborées et votées par l’OTU. Mais le Président a parfois des velléités autocratiques et, par exemple à propos des immigrés Sapiens, veut imposer sa loi en instituant une OQT, ou Obligation de Quitter le Territoire, applicable aux “mauvais étrangers”, à l’exception d’un petit nombre de “bons étrangers” compétents, seuls à pouvoir bénéficier d’un titre de séjour pour travailler dans des ”métiers en tension” manquant de mains-d’œuvre qualifiée, c’est le cas présentement pour l’artisanat fabriquant des silex double face et des lances ! Mais l’OTU n’accepte pas ce dictat et, après de longs débats, adopte à 80% une Résolution dite “Déclaration de l’OTU pour les réfugiés et les immigrés” (extraits) :

  • « Depuis que le monde est monde, les hommes se déplacent soit pour échapper à des conflits armés, à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, soit en réaction aux effets négatifs des changements climatiques, des catastrophes naturelles (dont certaines sont liées à ces changements) ou d’autres facteurs environnementaux. En fait, nombreux sont leurs déplacements qui sont motivés par plusieurs de ces raisons.
  • Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Nous rappelons les obligations nous incombant interdisant toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion.
  • Nous combattrons avec tous les moyens à notre disposition les mauvais traitements et l’exploitation dont sont victimes d’innombrables réfugiés et migrants en situation vulnérable.
  • La diabolisation des réfugiés ou des migrants porte profondément atteinte aux valeurs de dignité et d’égalité de chaque être humain auxquelles nous sommes attachés.
  • La diversité enrichit chaque société et contribue à la cohésion sociale. Aussi nous reconnaissons les droits fondamentaux de tous les réfugiés et migrants, quel que soit leur statut.
  • Nous sommes déterminés à trouver des solutions durables et à long terme. Nous nous engageons à fournir toute l’aide nécessaire aux réfugiés de manière qu’ils puissent subvenir aux besoins essentiels dans les principaux secteurs vitaux que sont le logement, l’alimentation, l’eau et les soins ».

La Résolution ainsi votée, s’impose en droit constitutionnel à l’exécutif qui ne peut que l’accepter ou démissionner ! C’est ainsi que les Sapiens ont pu s’installer tranquillement dans le sud, ou s’ils le souhaitaient continuer leur cheminement beaucoup plus vers l’Est où ils rencontrèrent le peuple des Dénisoviens, cousins très proches des Néandertaliens.

Si l’assemblée de l’OTU est complétement imaginaire, La Déclaration qu’elle est supposée avoir voté, est loin de l’être ; elle est en effet totalement inspirée par celle que l’Assemblée générale des Nations-Unies a approuvée le 19 septembre. 2016, sous le nom de “Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants”, les États-Unis se sont empressés de s’en désengager en décembre 2017. En France elle est peu connue du grand public et le législateur ne s’y réfère pas à ma connaissance.

Le métissage une nécessité

Il est impossible de savoir comment s’est déroulée au fil des siècles la cohabitation Sapiens-Néandertaliens. La seule certitude est 03à rechercher dans notre génome dont le séquençage révèle qu’il y a eu hybridation et métissage résultant de relations amoureuses, culturelles… Mais des paléoanthropologues ont constaté que Homo Néandertal a fini par s’éteindre complétement vers 25000 avant notre ère, pour des raisons qui ne peuvent être que des hypothèses : combats meurtriers, épidémies, replis dans des petites tribus fermées sur elles-mêmes ? Cependant, ne peut-on aussi considérer que ce métissage enrichissant aurait conduit Néandertaliens et Sapiens à se rassembler dans une même lignée qui, en se développant et en se métissant à de nombreuses occasions et non sans violence parfois, aurait progressivement étendu sa territorialité au fil des millénaires, pour finalement s’imposer partout sur la planète Terre comme seul représentant des hominines ?

Ce récit historique, pour une part légendaire , cherche simplement à rappeler que notre histoire d’Homo sapiens européen a débuté par une hybridation entre deux lignées humaines migrantes venues d’Afrique à des dates très espacées ; de nombreux autres métissages ont suivi. Des scientifiques considèrent les migrations comme indispensables à l’espèce humaine, ce que précise, par exemple, Évelyne Heyer (biologiste) : « Dans toutes les espèces, animales ou végétales, la migration est nécessaire. Une espèce ou un groupe qui reste isolé s’appauvrit génétiquement au fil des générations. Les migrations sont fondamentales pour maintenir la diversité génétique, et pour bénéficier, par chance, de mutations qui permettront de résister à de nouveaux pathogènes ou de nouvelles conditions d’existence. » [“Avec votre ADN, je peux raconter des choses sur l’histoire de l’humanité” | Libération 16 septembre 2020, à propos de son livre L’Odyssée des gènes, Flammarion, 2020].

Ainsi l’appréciation de la portée des migrations nécessite de se référer à une échelle du temps importante, plusieurs siècles sans doute ; ce qui rend quelque peu vain tout discours se centrant exclusivement sur l’actualité immédiate des migrations pouvant être présentées comme de graves dangers, tel celui du “grand remplacement” porté, entre autres, par l’écrivain Renaud Camus à l’origine de « la théorie complotiste du “grand remplacement” » [Ivanne Trippenbach, Le Monde, 3 novembre 2021] et reprise politiquement par Éric Zemmour.

Cependant, s’il est important de connaître l’histoire de l’ADN de notre espèce, il n’est pas absolument nécessaire d’en refaire tout le parcours depuis l’association Néandertal-Sapiens, même s’il est riche d’enseignements. L’histoire de France plus récente, celle que les livres scolaires nous racontent, permet en effet de comprendre que la formation des populations, leurs brassages et leurs modifications proviennent essentiellement de vastes mouvements migratoires, souvent violents et aux conséquences géopolitiques imprévisibles. Ainsi, les Francs, les Huns, les Wisigoths… venus des contrées du Nord aux IVe et Ve siècles de notre ère, ont colonisé l’Europe, ce qui a provoqué la chute de l’Empire romain occidental. Puis, plus tard sur le territoire français, il y a eu les Omeyyades, les Anglais, les Prussiens, les Allemands… Inversement la France a développé avec violence son propre empire colonial en Afrique, en Asie… Aujourd’hui les mouvements de population sont beaucoup plus paisibles du moins en France, c’est en effet loin d’être le cas dans une bonne partie du monde avec près de 90 millions de personnes déracinées, majoritairement pour cause de guerres [cf. aperçu statistique 2021, UNHCR]

Descendants d’immigrés ?

Dans un passé récent il était courant de rechercher dans son arbre généalogique un nom avec particule, signe possible d’un parent lointain ayant pu appartenir à la noblesse. Aujourd’hui il serait plutôt de bon ton de se découvrir descendant de paysans, et pourquoi pas d’immigrés, en remontant si nécessaire sur de nombreuses générations, pour ensuite le signifier avec une certaine fierté quand cette recherche est positive. L’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Moussa Darmanin, en est l’exemple type, son grand-père maternel est Moussa Ouakid né en Algérie en 1907.

Moussa Ouakid a été adjudant-chef dans l’armée française et pendant la Deuxième guerre mondiale il est résistant dans les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) ; à la Libération il s’installe dans le Nord de la France où il se marie. Quand l’Algérie devient indépendante en 1962, il conserve la nationalité Française. Peut-on alors identifier ce grand-père vénéré comme un immigré venu d’un pays étranger ? Pas vraiment jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962, « parce qu’il se trouve que l’Algérie, c’est la France, parce qu’il se trouve que les départements de l’Algérie sont des départements de la République française » [François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, discours à l’Assemblée nationale | 12 novembre 1954]. En référence à cette partie de l’histoire de l’Algérie, Moussa Ouakid ne peut donc être qu’un “immigré de l’intérieur” passant d’une région à l’autre de la France, comme cela se produit régulièrement pour bon nombre de Français.

Mais G. Darmanin n’a cure de cette distinction et, sans l’avoir connu vivant, il voue à son grand-père combattant pour la France, une admiration sans borne et il en fait un immigré à part entière : « Grand honneur, pour le petit-fils d’immigré que je suis, d’être nommé ministre de l’Intérieur de notre beau pays » tweet-il le jour de sa nomination. Et il fait de cette histoire personnelle un modèle d’assimilation pour les immigrés dont certains : « essayent de s’intégrer […], de fonder une famille et de fabriquer “d’excellents petits Français” » déclare-t-il [Le Monde, 2 nov. 2022], sous-entendu “tel que je le suis devenu !”

Cette recherche de liens peut conduire à des estimations hasardeuses selon les sources, type « 80 % des Français auraient un lien avec l’immigration sur cinq ou six générations », ce qui ne peut être probant, l’identification à trois générations n’étant plus possible à partir de 60 ans. Les organismes officielles de statistiques — INSEE et INED – se limitent donc pour la 3ème génération à la tranche d’âge de 0 à 59 ans. Ce qui donne pour la population 2020 (65,3 millions d’habitants) en France métropolitaine [source : INSEE Première N° 1910 | juillet 2022] :

  • personnes immigrées vivant en “logement ordinaire” : 5,8 millions soit 9 % de la population
  • Descendants de 2egénération ayant au moins un parent immigré : 7,5 millions, 12 % de la pop.
  • Descendants de 3egénération ayant au moins un grand-parent immigré : 4,8 millions, soit 10 % des moins de 60 ans

Si l’on applique la tranche 0 à 59 ans à l’ensemble des résultats, un bon tiers de cette population a un lien à l’immigration sur trois générations, c’est-à-dire qu’elles sont soit : immigrées (12 %), descendantes d’immigrés de 2e génération (16 %) ou de 3e génération (10 %)

Cette étude INSEE se limitant aux personnes immigrées vivant en logement ordinaire, c’est-à-dire dument recensées, ces résultats sont donc partiels et il manque :

  • ceux dont on cause le plus… les “clandestins” qui par définition sont difficilement quantifiables ; il existe cependant des estimations qui d’après Mustapha Harzoune, [historien, Musée de l’histoire de l’immigration 2022] vont de 400 000 à 900 000 “sans-papiers” dont 38 000 demandeurs d’asile en attente d’une réponse à leur dossier
  • les étudiants étrangers : 400 000 en 2022 [Campus France]
  • les immigrés dans les territoires d’outre-mer, La Guyane et Mayotte tout particulièrement : 100 000 en situation régulière [cf. “L’immigration dans les départements d’Outre-mer, ministère de l’Intérieur | 2020]

Ainsi en 2021-2022 « 7,0 millions d’ immigrés vivent en France, soit 10,3 % de la population totale, dont 2,5 millions, soit 36,0 % d’entre eux, sont français, ayant acquis la nationalité française depuis leur arrivée en France […] La population immigrée en France progresse en effectif et en pourcentage de la population. », par exemple en 1921, 1,4 million soit 3 % [“L’essentiel sur… les immigrés”, INSEE | août 2022]

Voir également le rapport récent de l’INSEE “Immigrés et descendants d’immigrés en France” [mars 2023] « Une situation des descendants d’immigrés plus favorable que celle des immigrés ».

Quand on évoque les flux migratoires, il est surtout question de l’immigration et de ses problématiques, mais il y a aussi une émigration importante. En effet la France “exporte” entrepreneurs, techniciens, ingénieurs, sportifs, étudiants, militaires et… retraités ! Le ministère des Affaires étrangères estime leur nombre au 1er janvier 2023 à environ 2,5 millions dont la moitié en Europe (l’inscription au Registre des Français établis hors de France n’est pas obligatoire). Ils sont installés à l’étranger de façon durable : 73,5 % des inscrits (1,7 million) le sont depuis plus de cinq ans dans la même circonscription consulaire. Ils élisent vingt-trois parlementaires (onze députés et douze sénateurs).

Les retraités installés durablement à l’étranger méritent une attention particulière. Au 1er janvier 2022, parmi les 15 millions de personnes percevant une retraite de base au régime général, 1,1 million (soit 7,4 %) résident dans un pays étranger [source : CNAV]. Pour bon nombre d’entre elles il s’agit d’un retour au pays d’origine – tout particulièrement en Afrique du Nord, en Espagne et au Portugal – d’autres, non d’origine immigrée, veulent vivre leur retraite dans un pays ensoleillé, le Portugal étant l’une des destinations privilégiées. Ainsi plusieurs milliers de retraités sont installés principalement sur la côte Sud région de l’Algarve : vie moins chère, avantages fiscaux et tranquillité : « La vie est douce. C’est calme, apaisé, sans agressivité […] Le Portugais est plus respectueux des règles, Ils ont le respect de l’autorité. Personne ne bouge quand la police vous arrête […] C’est une région pour les gens qui en avaient assez. Il y a en France une dérive ethnique insupportable […] la France est devenue aussi violente que le Brésil », témoignent-ils. Dérive ethnique ? alors que pas une des personnes interrogées ne connaît le portugais…mais les Portugais parlent français alors « pas besoin de faire un effort ! » Mais un restaurateur portugais s’étonne : « Vous laissez toute la famille alors qu’il vous reste cinq ans à vivre pour payer moins d’impôts, mais c’est quoi cette mentalité ? » [Elsa Conesa, reportage, Le Monde | 1er mars 2023]


Que disent tous ces chiffres ? Le seul élément objectivable est l’écart entre les flux, le nombre d’émigrés est en effet très inférieur à celui d’immigrés. Est-ce trop, pas assez ? Quels seuils pourraient permettre de le dire ? Si les statistiques sont utiles pour un état des lieux, elles n’apportent pas pour autant des réponses qui sont sans doute à rechercher dans les fondements de notre société, le premier étant que nous sommes tous et toutes cousins et cousines ! Dans une exploration généalogique de l’ADN de tout individu, on trouve en effet « une branche vers le Moyen-Orient, une zone qui se ramifie elle-même vers la corne de l’Afrique. Ce raisonnement s’étend même sur les continents les plus éloignés comme l’Australie et l’Amérique. Ainsi de proche en proche, nous récupérons des ancêtres venus de toute la planète et mécaniquement tous les ancêtres de ces ancêtres. En plusieurs milliers d’années l’humanité a tissé sur Terre une énorme toile d’araignée génétique. Il est vertigineux d’imaginer que nous avons tous, dans nos lointains grands-parents, à la fois un Chinois cultivateur de riz, un Sibérien éleveur de rennes et un Africain chasseur d’éléphants ! » [Évelyne Heyer, La vie secrète des gènes, Flammarion, 2023]. Ce qui devrait nous rendre humbles et prudents dans nos affirmations identitaires, mais aussi fiers de participer à cette grande aventure de l’humanité.

Boucs émissaires ?

Cependant des raisonnements scientifiques de qualité ne parviennent pas à renverser dans l’opinion une fâcheuse tendance à faire 04des immigrés des boucs émissaires, surtout semble-t-il dans les moments de grande crise sociétale : « On l’appelait “le barbare”, “le métèque”, “le Rital” ou “le bicot” ; on l’appelle aujourd’hui “le sans-papiers”, le “fraudeur” de l’asile ou la “racaille” de banlieue. Depuis que la France a ouvert ses portes à l’immigration, à la fin du XIXe siècle, “l’autre”, qu’il s’agisse d’un nouveau venu ou d’un descendant de migrants, revêt nombre de visages – mais tous, ou presque, sont négatifs. Les Italiens de 1880, les Polonais de 1930, les Algériens de 1960 ou les Maliens de 2020 sont souvent accusés de constituer une menace pour la cohésion sociale, une concurrence sur le marché du travail, voire un péril pour la patrie » [Anne Chemin, “Depuis le XIXᵉ siècle, l’immigré en bouc émissaire des crises franco-françaises| Le Monde, 3 fév. 2023]. Cette menace est cependant à nuancer lors des guerres et en fonction des pays d’origines des réfugiés.

Ainsi, pendant la Première guerre mondiale, l’armée française, “militaire” étant devenu un “métier en tension”, recrute dès 1915 des milliers d’Africains, le plus souvent sous la contrainte, pour renforcer le corps d’armée des Tirailleurs Sénégalais ; ils furent 135 000 à défendre le territoire français, positionnés en première ligne, en particulier à Verdun ; 30 000 y trouvèrent la mort. Le récent film à succès Tirailleurs de Mathieu Vadepied, avec Omar Sy dans le rôle principal, montre ce recours à cette main-d’œuvre étrangère, à l’époque cela n’avait pas provoqué la moindre opposition : « Pour faciliter les recrutements – l’Afrique étant pensée comme un réservoir quasiment inépuisable de soldats par certains décideurs militaires – toute une série d’avantages comme des primes, des emplois réservés ou encore un accès facilité à la citoyenneté furent promis. Mais dans les faits, à la fin de la guerre, l’administration coloniale fit tout pour préserver le statu quo et peu d’Africains bénéficièrent de ces mesures. » [Martin Mourre, chercheur, | IRIS, 8 fév. 2023]

Accueil sélectif ?

EPA_09808414.jpg

La guerre en Ukraine a provoqué une envolée de l’accueil en urgence de nombreuses personnes  : « C’est l’honneur de la France d’avoir accueilli 108 000 Ukrainiens depuis le 24 février 2022, sous le statut de protection temporaire. » [Élisabeth Borne, Première ministre, op.cit]. Dans un rapport récent, la Cour des comptes fait mention pour l’année 2022 de : 115 000 réfugiées d’Ukraine accueillies en France (75 % des adultes sont des femmes, 30 % de l’ensemble sont des enfants) ; la création de 87 000 places en hébergement d’urgence ; une dépense de 634 millions d’euros… [“L’accueil par l’État des réfugiés d’Ukraine en France en 2022”, Cour des comptes | fév. 2023]. Sans aller jusqu’au “quoiqu’il en coûte”, on doit cependant constater qu’il est possible de mobiliser très rapidement d’importants moyens quand il y a urgence, mais celle-ci peut être relativisée en fonction de données géopolitiques et les mobilisations furent par le passé loin d’être les mêmes lors des conflits en Syrie, en Afghanistan, au Soudan…

Ce pan de l’histoire de l’immigration devrait être inspirant pour l’actuel gouvernement. Mais bien au contraire, il n’en tient pas compte dans ses attendus, pas plus qu’il ne tient compte d’évènements bien plus anciens, dont celui de la rencontre Néandertal-Sapiens ! Dans l’exposé des motifs du projet de loi il est pourtant fait référence à l’histoire : « La France est fière d’être un pays d’immigration ancienne et riche de ce que cette immigration lui a apporté », et la Première ministre le confirme « La France est et restera fidèle à sa tradition d’asile », mais elle introduit aussitôt de sérieuses restrictions : « il est légitime de se poser la question de notre politique migratoire : dire qui on veut, qui on peut accueillir, et qui on ne veut pas, qui on ne peut pas accueillir. » [Élisabeth Borne, op.cit]. Et le ministre de l’intérieur surenchérit « Si je devais résumer, je dirais qu’on doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils » [Gérald Darmaninop.cit].

Ainsi pour l’actuel gouvernement, la France doit choisir des étrangers “gentils”, pouvant mettre au monde “d’excellents petits français”. Ajoutons d’autres éléments figurant dans le projet : capables d’apprendre rapidement le français, sinon pas de titre de séjour pluriannuelle, capables de travailler dans des “métiers en tension” ; ne commettant pas d’actes délictueux sinon : « Leur rendre la vie impossible » précise Gérald Darmanin [op.cit] et dans ce cas, le principe de la “double peine” s’applique, c’est-à-dire sanction pénale suivie de l’obligation de quitter le territoire français [cf. “Le livre noir de la double peine”, La Cimade | 3 mars 2023]

Le droit à la protection temporaire (DPT), appliqué pour les réfugiés Ukrainiens, « a été créé en 2001, au lendemain du conflit en ex-Yougoslavie, lorsque, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a été confrontée à des déplacements massifs de personnes résultant d’un conflit en Europe » [Amnesty International, mars 2022]. C’est une décision du Conseil de l’Union Européenne afin de protéger les étrangers qui fuient massivement leur pays ou leur région d’origine et qui ne peuvent pas y retourner, en raison notamment d’un conflit armé, de violences ou parce qu’ils sont victimes de violations graves et répétées des droits de l’homme. Le DPT est attribué pour une période d’un an et peut être prolongé de deux ans au maximum ; Il est à distinguer du statut de réfugié [cf. Service Public.fr]. Il facilite l’obtention rapide d’un titre de séjour et l’accès à : une aide financière dans l’attente d’un emploi, un logement, des soins, l’éducation et la formation.

Notons que c’est la première fois en 2022 que le DPT a été appliqué, et bien que décrété en 2001, il ne le fut pas, par exemple, pour les Afghans ou bien les Erythréens…, Claire Rodier, juriste au GISTI, en déduit qu’« une véritable politique d’accueil est une nécessité, l’exemple ukrainien montre qu’elle est possible. Elle doit être fondée sur l’accès inconditionnel au territoire de toutes celles et ceux qui demandent protection aux frontières de la France et de l’Europe, sans présupposé lié à leur origine, ni distinction arbitraire entre “migrants” et “réfugiés”, sur la mise à l’écart de tout dispositif coercitif au profit d’un examen attentif et de la prise en charge de leurs besoins, et sur le respect du choix par les personnes de leur terre d’asile, à l’exclusion de toute répartition imposée » [“Migrants” de l’Océan Viking, ׅ“réfugiés” d’Ukraine : quelle différence ? | Libération, 15 novembre 2022]

Un énième projet de loi

Mais les intentions énoncées par Claire Rodier, en particulier l’inconditionnalité de l’accueil des étrangers quel que soit leur statut, sont loin d’avoir inspiré le projet de loi “Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration”. Ce projet sera sans doute amandé lorsqu’il sera débattu à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais il est certain qu’il ne sera pas modifié sur le fond malgré les critiques émises par de nombreuses associations :

  • ACAT : Péril sur le droit d’asile !
  • Amnesty International : Un énième texte dangereux
  • Collectif d’organisations : Appel pour une politique migratoire d’accueil
  • Fasti : Mobilisons-nous contre la loi Darmanin !
  • Forum réfugiés : Asile et immigration : un projet de loi qui présente des reculs inquiétants
  • France Fraternités : Le projet de loi immigration fragilise les libertés des étrangers
  • France Terre d’asile : Un nouveau texte restrictif pour les droits des demandeurs d’asile
  • GISTI : Tout savoir sur la future loi “asile et immigration”
  • La CIMADE : Politique d’expulsion : des déclarations du gouvernement qui sèment la confusion
  • Ligue des droits de l’Homme : L’UCIJ refuse toujours la loi “immigration-asile” même découpée
  • MRAP : Les lois sur l’immigration : un acharnement très politique

Cette nouvelle loi dans sa forme actuelle, ou réajustée, sera la vingt-neuvième depuis 1980, ce que l’historien Mustapha Harzoune souligne en titrant : « lois sur l’immigration, un mille-feuilles législatif » [Musée de l’histoire de l’immigration | janvier 2023]. Preuve, s’il en est besoin, de la grande difficulté à définir une politique d’accueil non restrictive des droits humains fondamentaux : « Depuis 30 ans, les textes relatifs à la politique migratoire de la France se succèdent et ont toujours les mêmes conséquences : le recul des droits des personnes exilées et la détérioration de leurs conditions d’accueil. Ce nouveau projet de loi présente donc peu de surprise dans sa manière d’appréhender une situation qui continue au fil des décennies d’être considérée, à tort, comme un “problème” ou une “question à régler” » [Amnesty International, 7 fév. 2023].

Si les réserves faites au projet sont multiples, deux retiennent particulièrement l’attention de nombreux juristes :

  • la quasi suppression de la collégialité judiciaire à la Cour nationale du droit d’asile [6] (CNDA) –exception faite des affaires présentant une “difficulté sérieuse”– : un seul magistrat au lieu de trois actuellement dont un issu du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) veillant au respect des décisions de l’ONU garantissant les droits des réfugiés (Convention (1951) et Protocole (1967) relatifs au statut des réfugiés]. Pourtant les audiences de la CNDA, note la défenseure des droits Claire Hédon, « abordent régulièrement des situations douloureuses, voire très intimes, lorsque la demande d’asile est, par exemple, liée à des situations telles que des sévices subis, le refus d’un mariage forcé ou la pénalisation de l’homosexualité. Un regard collégial est absolument nécessaire pour apprécier ces situations dans toute leur complexité. Le recours au juge unique vide de sa substance le délibéré qui constitue un gage d’impartialité de la justice. Le principe doit demeurer la collégialité, et le juge unique l’exception. Inverser cette logique est un risque majeur. » [Avis du Défenseur des droits n°23-02 |23 fév. 2023].

La CNDA est une juridiction administrative statuant sur les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le projet de loi prévoit la création de chambres territoriales

  • en cas de rejet d’une demande d’asile, le projet prévoit une décision quasi automatique d’“une obligation de quitter le territoire français” (OQTF), ce qui aboutirait à « un mélange de genres inédit » entre OQTF / expulsion d’un étranger hors de France” / “interdiction du territoire français” (ITF). « Si la protection de l’ordre public est un objectif à valeur constitutionnelle, il n’est ni certain, ni démontré qu’un régime exceptionnel de restrictions des droits des étrangers soit nécessaire et justifié pour l’atteindre ». [Claire Hédon, op.cit].

Le titre de séjour temporaire lié à un travail dans les “métiers en tension” est le seul point du projet qui est considéré comme une avancée puisqu’il permettrait de régulariser un certain nombre de travailleurs étrangers actuellement sans papier : « Le nouveau titre aura l’avantage de permettre l’accès à tous les métiers en tension, sans solliciter une nouvelle autorisation de travail à chaque fois. On fait entrer la régularisation par le travail dans le plein droit. » [Simon Mauvieux, Céline Mouzon, Alternatives économiques | 24 janvier 2023]

Mais de nombreuses réserves sont rapidement apparues. Ainsi Clément Viktorovitch, journaliste à Radio France, souligne qu’il s’agit là d’une « conception purement instrumentale de l’immigration […] Les (immigrés) sont présentés comme des outils, évalués à l’aune de l’intérêt qu’ils présentent pour la nation. Ceux qui veulent rester doivent pouvoir démontrer une utilité directe, immédiate, matérielle. Les autres doivent repartir ». Puis, reprenant les propos tenus par le ministre de l’Intérieur “On veut ceux qui bossent, on ne veut pas ceux qui rapinent”, il fait remarquer que cette représentation méprisante reste « centré sur une opposition entre bons et mauvais étrangers » [“Nouveau projet de loi sur l’immigration : un humanisme de façade ?” FranceInfo “Entre les lignes” | 11 décembre 2022].

La droite politique et son extrême ont fait connaître leur profond désaccord. Elles estiment en effet que ce titre conduira à une régularisation massive de “sans papier” : « Comme nous n’arrivons pas à expulser les immigrés faisant l’objet d’OQTF, les deux ministres (Intérieur et Travail) proposent de régulariser les étrangers en situation irrégulière au motif qu’ils pourraient pourvoir des métiers en tension. C’est une forme de supercherie pour aller vers la régularisation. » Éric Ciotti, tweet | 3 novembre 2022]. Ce rapprochement OQTF / métiers en tension, pour le moins étrange, entretient l’idée que tout acte de délinquance commis par un immigré ne peut conduire qu’à l’expulsion, or être “sans papier” c’est déjà être considéré comme hors la loi, donc à priori expulsable !

Mais pour Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France Terre d’Asile, il doit être encore possible en France que « les exigences 06d’efficacité et d’humanité se rencontrent. Efficacité : notre pays a besoin de travailleurs venus d’ailleurs pour occuper des emplois comme pour contribuer à payer nos retraites. Humanité : nous nous honorons à les traiter dignement, qu’ils aient été chassés de chez eux ou qu’ils soient simplement à la recherche d’un avenir meilleur. Voilà, c’est aussi simple que cela » [Tribune, Libération | 24 mars 2023].

Autrement dit, si l’on voulait vraiment être accueillant des immigrés, quel que soit leur statut ou leur non-statut, on devrait chercher, non pas à multiplier des lois de plus en plus contraignantes, mais au contraire à construire un système permettant à chaque étranger de trouver une place, temporaire ou non, respectueuse des droits fondamentaux. Puisque cela a été possible sans restriction pour les nombreux réfugiés Ukrainiens, avec une forte mobilisation, non seulement de l’État et des collectivités locales, mais également de la société civile, pourquoi ce ne le serait pas pour tous et toutes ? En fait, ce projet de loi, comprenant de nombreuses mesures d’exception, contredit le droit commun alors que «  l’objectif légitime […] d’assurer la meilleure protection de l’ensemble des personnes présentes sur le territoire devrait préférentiellement se faire via la mobilisation des outils pénaux de droit commun, lesquels permettent d’assurer une réponse pénale uniforme quelle que soit la nationalité de la personne concernée » [Claire Hédon, op.cit.].

07Faut-il singulariser, voire stigmatiser des personnes arrivant sur le territoire français épuisées par de longs périples aux multiples dangers en les identifiant avant tout comme “clandestins”, possiblement “profiteurs”, “envahisseurs”, ou autres qualificatifs désobligeants ? Faut-il les enfermer dans des “Centres de rétention administratif” (CRA) très contraignants ? [cf. “Les Centres de rétention deviennent chaque jour un peu plus des zones de non-droit”, La Cimade | 3 mars 2023]. Faut-il accepter que des personnes vivent dans le plus grand dénuement, dépendant totalement de l’aide d’associations bienveillantes, certaines de ces personnes n’ayant pas d’autres choix que de dormir sous tente en plein hiver ? [cf. “En plein Paris, des centaines de jeunes migrants campent devant le Conseil d’État”, InfoMigrants | 6 déc. 2022].

Peut-on tolérer qu’un navire humanitaire, l’Ocean-Viking, affrété par l’ONG SOS-Méditerranée, avec 234 migrants à son bord secourus en Méditerranée, ne puisse trouver un port pour accoster et soit contraint à trois semaines d’errance, l’Union européenne, et tout particulièrement la France et l’Italie, n’arrivant pas à se mettre d’accord sur la façon d’accueillir ces migrants ? La France a finalement fait un geste par « dignité et humanité, dans un cadre sécurisé et fermé » [ministère de l’Intérieur] et le navire a pu accoster à Toulon le 11 novembre 2022 : « Si la France a, finalement, sauvé l’honneur en acceptant que l’Ocean-Viking accoste à Toulon, […] l’impuissance européenne à mettre en œuvre les droits humains qui la fondent historiquement – en l’occurrence la sauvegarde de 234 vies, dont celles de 57 enfants – est extrêmement préoccupante. » [éditorial, Le Monde | 12 novembre 2022].

08« Chaque passager du bateau de migrants qui a fait naufrage dimanche (26 février 2023) à l’aube près des côtes de Calabre, dans le sud de l’Italie, avait un nom, une famille, une terre d’origine. Mais pour certains d’entre eux, dont le corps ne sera jamais retrouvé et les proches jamais informés, l’histoire et l’identité qui leur étaient propres ont disparu dans l’anonymat des eaux agitées de la Méditerranée, qui a englouti leur rêve d’une existence plus digne, plus sûre et plus prospère sur le sol européen.» [Frédéric Autran, journaliste, Libération 26 février 2023]

On pourrait poursuivre longtemps ce questionnement… Mais il en ressort déjà que les mesures d’exception décidées par la France et l’Union européenne ne sont certainement pas la meilleure façon d’accueillir des personnes étrangères en errance et le plus souvent en danger. Que devient alors la devise de la République Liberté Égalité Fraternité figurant dans l’article 2 de la Constitution, l’article 1 précisant que « La France est une République indivisible […]. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Actuellement cette égalité n’a pas cours et seule l’action solidaire et constante d’associations et d’ONG permet de faire en sorte que les migrants aient au moins les mêmes droits que les étrangers admis officiellement à vivre en France [cf. Quels sont les droits des étrangers ? Vie publique]. Et ce, pour aller à l’encontre de mesures « de plus en plus restrictives de plusieurs pays européens pour interdire l’accès à leur territoire et les opinions qui les sous-tendent sont sans effet sur le développement des flux migratoires. Mais il y a de plus en plus de morts sur les routes de l’immigration, en particulier en Méditerranée. » [Catherine Wihtol de Wenden, Christian Jouret, “Europe. Mortelles errances des politiques migratoires”, OrientXXI | 7 décembre 2022].

Tel tout ministre de l’Intérieur se respectant, Gérald Darmanin veut faire “sa” loi immigration… « Quelle est la nécessité d’un nouveau texte de loi alors que l’encre des décrets du précédent n’est pas encore sèche ? » note Pierre Henry, président de l’association France Fraternités [Libération | 5 déc. 2022]. Et cette précipitation ministérielle n’apparaît souhaitable ni à de nombreuses associations, ni à la défenseure des droits, et donc avant toute nouvelle réglementation, il y aurait à définir ce que l’on entend par “France, pays d’immigration”. Comment admettre que nous sommes issus de migrations, fils et filles de nos vénérables ancêtres Néandertaliens et Homo-sapiens ? Comment faire place à d’autres que soi ? Comment penser l’hospitalité sans que celle-ci puisse être considérée comme un délit, comme ce fut le cas pour Cédric Herrou (relaxé, Cour de cassation, mars 2021) Martine Landry (relaxée, Parquet d’Aix en Provence, juillet 2020)… « Que devient un pays, on se le demande, que devient une culture, que devient une langue quand l’hospitalité peut devenir, aux yeux de la loi et de ses représentants, un crime ? […] Les frontières ne sont plus des lieux de passage, ce sont des lieux d’interdiction, des seuils qu’on regrette d’avoir ouverts, des limites vers lesquelles on se presse de reconduire.» [Jacques Derrida, Plein Droit N°34 | avril 1997].  Cf. également : La fin de l’hospitalité, Guillaume Le Blanc, Fabienne Brugère [Flammarion, 2017]

Mais ces interrogations se heurtent à un mur d’incompréhension entre la parole des associations et, selon Achille Mbembe, celle 09des porteurs « du rêve hallucinatoire d’une communauté sans étrangers » [Politiques de l’inimitié, La Découverte, 2016], alors que, pour ce même auteur, il s’agirait de « pouvoir circuler et séjourner librement dans le monde », les frontières ne faisant que « diviser et causer la peur d’être envahi ». La société devient ainsi « imprévisible et paranoïaque » [Pour un monde en commun, avec Séverine Kodjo Grandvaux et Rémy Rioux, Actes Sud, 2022] et va à la recherche de boucs émissaires pour conjurer ses peurs.

Le dépassement de cette opposition solidement ancrée dans l’opinion est compliqué. Les discussions du projet de loi (ou des projets) à l’Assemblée nationale, habituellement faites d’invectives, ne le permettront pas. Mais des associations recherchent d’autres approches, c’est le cas pour Désinfox-Migrations : « Nous luttons contre la désinformation pour contribuer à un débat public mieux informé sur les migrations et l’intégration, à un moment où la manipulation des faits migratoires est un enjeu majeur dans les démocraties, notamment en Europe. »

À l’initiative de cette association 400 scientifiques déclarent dans une tribune qu’« il est urgent de remettre de la raison et du débat démocratique dans le traitement des questions de migration », et ont appelé, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat, à la création d’une “Convention citoyenne sur la migration” pour permettre « d’organiser un débat construit et bien informé sur une question hautement inflammable ». [Le Monde | 27 février 2023]. J’ajoute : à la condition que le gouvernement et les Parlements en acceptent vraiment les conclusions pour décider de la loi. Plusieurs Conventions simultanées, une par Région par exemple, donneraient encore plus d’assises à un tel projet. Je crains cependant que ces scientifiques ne soient pas entendus…

10


Documentation utilisée dans le texte

  • “L’essentiel sur les immigrés et les étrangers”, données clés, INSEE | août 2022
  • Guide du demandeur d’asile en France, Direction des étrangers, ministère de l’Intérieur | sept. 2020
  • Cour nationale du droit d’asile (CNDA), rapport d’activité 2022
  • Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), rapport d’activité 2021
  • Règlementation juridique du droit d’asile, Dublin III 2013 | analyse : Wikipédia
  • “Migrations internationales et développement”, résolution, Nations-Unies | 21 déc. 2016
  • Nouveau pacte sur la migration et l’asile, Union Européenne | communiqué, septembre 2021
  • Projet de loi immigration, avis, Conseil d’État | 26 janvier 2023
  • “Projet de loi asile et immigration : décryptage”, La Cimade | 3 mars 2023
  • Projet de loi contrôler l’immigration…, décryptage, France Terre d’Asile | mars 2023
  • “Darmanin et Dussopt sur le projet de loi “immigration” : « Nous proposons de créer un titre de séjour métiers en tension »”, Le Monde | 2 novembre 2022
  • “Métiers en tension”, avis, Conseil économique, social et environnemental | 12 janv. 2022
  • “Le titre de séjour “métiers en tension”, une avancée sous conditions”, Simon Mauvieux, Céline Mouzon| Alternatives économiques, 24 janv. 2023
  • “Les questions que pose le titre “métiers en tension”, Claire Rodier | Alternatives économiques, 20 février 2023
  • Institut Convergences migrations : La question des migrations crée un clivage dans le débat public et au sein de la société. L’Institut expérimente des dispositifs pour permettre un meilleur dialogue entre les chercheurs, les acteurs de terrain et les citoyens”
  • Border Violence Monitoring Network. Ce site documente les renvois forcés et les violences policières aux frontières de l’UE (en anglais)
  • “Le Livre noir de la double peine : le constat d’un mensonge”, Collectif  | mars 2006
  • “Les camps d’étrangers, nouvel outil de la politique migratoire de l’Europe”, Claire Rodier | revue Mouvements N°30, 2003
  • “La détention par défaut : comment la Grèce et l’UE généralisent la détention administrative des migrants”, OXFAM | 16 nov. 2021
  • “La construction de murs aux frontières de l’Europe est-elle vraiment un rempart contre l’immigration irrégulière ? Franceinfo | 6 janvier 2022
  • “Sans-papiers : les travailleurs exploités de l’État”, Libération | 5 décembre 2022
  • “La France est très loin d’avoir pris sa part sur l’immigration”, François Héran | Libération, 1ermars 2023
  • Immigration : le grand déni, François Héran, Seuil, 2023. “l’indispensable livre”, Jacques Lancier, Le Club de Médiapart | 10 mars 2023
  • Étrangers : de quel droit ? Danièle Lochak, éd. PUF, 1985
  • L’odyssée des gènes, Évelyne Heyer, biologiste, Flammarion, 2020
  • La vie secrète des gènes, Évelyne Heyer, Flammarion, 2022
  • Xénophobie business : A quoi servent les contrôles migratoires, Claire Rodier, juriste au GISTI, La Découverte, 2012
  • Migrants & réfugiés, Claire Rodier, La Découverte, 2018
  • Les Nouvelles Frontières de la société française,  Didier Fassin (direction), La Découverte, 2010
  • Figures de l’Autre – Perceptions du migrant en France 1870-2022Catherine Wihtol de Wenden, CNRS éditions, 2022
  • Hospitalité, Jacques Derrida, séminaire, 2 tomes, Seuil, 1995-1996 
  • “Qu’est-ce que l’intégration ?” Abdelmalek Sayad, revue Hommes et Migrations n°1182, déc. 1994
  • “La santé des migrants : notes pour une généalogie”, Didier Fassin, La Santé en action N° 455 | mars 2021
  • “L’inaction du gouvernement face aux discriminations en France”, Amnesty international | mars 2023
  • “Situation des droits humains dans le monde”, rapport | Amnesty international, mars 2023
  • “Mobilisation citoyenne, la force de l’indignation”, dossier | SOS Méditerranée, février 2022
  • “Délit de solidarité. Cédric Herrou , Martine Landry”, Amnesty international | mars 2018
  • “Les travailleurs immigrés, victimes oubliées de la réforme des retraites”, Maya Elboudrari, Alternatives économiques | 15 mars 2023
  • L’Auberge des Migrants est sur le terrain auprès des exilés à Calais et ses environs
  • Entretien avec François Guennoc, vice-président de l’Auberge des Migrants, Alternatives économiques | 26 oct. 2020
  • “La Convention citoyenne : une innovation démocratique ?” débat, La Grande Conversation | 2021-2022

Autres documents

  • Chiffres-clés de l’immigration : 28 indicateurs annuels de 2018 à 2022 | ministère de l’intérieur | janvier 2024
  • Immigration en France: données essentielles, Direction générale des étrangers en France, ministère de l’intérieur | 22 juin 2023
  • “Recommandations relatives aux centres de rétention administrative de Lyon 2, du Mesnil-Amelot, de Metz et de Sète”, Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté | Journal Officiel  22 juin 2023
  • “Immigration : laissons-les entrer », dossier Politis N° 1763 | 20 juin 2023
  • « Immigration, une chance pour la France », dossier Le Monde | 16 juin 2023
  • Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la gestion de l’asile et de la migration, Conseil de l’Union européenne | 6 juin 2023
  • Centres de rétention administrative, rapport de situation année 2022, collectif d’associations | avril 2023
  • “Immigration et population étrangère en France : quelles sont les statistiques utilisées ?”, Vie publique | avril 2023
  • “Asile et migration: le Parlement européen confirme les principaux mandats de réforme”, communiqué | 20 avril 2023
  • Immigration : économie, régularisation, accueil, Méditerranée | Dossier Le Monde  avril 2023
  • “Immigration et délinquance : réalités et perceptions”, Arnaud Philippe, Jérôme Valette, CEPII | avril 2023
  • “Migrants, le 115 de la débrouille : Paris, des tentes d’exilés dans des locaux de start-up”, Libération | 10 avril 2023
  • Dossier Politis, “France, terre hostile” : identité, haine, accueil | avril 2023
  • “Immigration : nos frontières sont-elles « des passoires » ? Clément Viktorovitch, FranceInfo | 16 avril 2023
  • “L’immigration, ce grand tabou (de la gauche)”, Adelaïde Zulfikarpasic, Fondation Jean Jaurès | 11 avril 2023
  • “Décryptage : projet de loi “Immigration et intégration”, dossier, Institut Convergences Migrations | mars 2023
  • “Mineurs étrangers non accompagnés : un dispositif de prise en charge saturé ?” note | Vie publique  janvier 2023
  • “Politique d’immigration – La maîtrise des flux migratoires”, dossier | Vie publique  mars 2022
  • “La politique d’immigration dans le contexte européen”, note | Vie publique  mars 2022
  • “Migrants en situation de vulnérabilité et santé”, rapport, la Santé en action | mars 2021
  • “Migration and Asylum”, rapport, Commission européenne | septembre 2021
  • “Les étrangers imaginés par le droit constitutionnel. Analyse culturelle comparée des jurisprudences colombienne et étatsunienne”, Louis Imbert, SciencesPo-Cogito | 16 novembre 2020
  • “Déconfiner les politiques migratoires: lacunes et biais des débats scientifiques”, Hélène Thiollet, SciencesPo-Cogito |  novembre 2020
  • “Migration, salaire et emploi : un aperçu de la recherche”, Hélène Thiollet et Florian Oswald, SciencesPo-Cogito |  novembre 2020
  • “1974 et la fermeture des frontières. Analyse critique d’une décision érigée en turning-point”, Sylvain Laurens, Politix N°82 | 2008 
  • “Le “ministère symptôme” : retour sur 40 ans de bégaiement au sein de l’État français”, Sylvain Laurens | Savoir/Agir 2007/2 / éd. du Croquant
  • “Frères migrants. Déclaration des poètes, Patrick Chamoiseau | éd. du Seuil / Institut du Tout-Monde | décembre 2016

4 réflexions sur “Immigration et loi

  1. commentaire de René M. par mail
    Depuis plusieurs décennies, le phénomène migratoire a pris une ampleur sans précédent, à l’échelle planétaire (85 M de migrants internationaux en 1970, 173 M en 2000, 281 M en 2020), sans parler des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays à cause d’un conflit ou de la violence, ou d’une catastrophe naturelle (48 + 7 = 55 M).
    Les réfugiés (26 M) représentent moins de 10% des migrants internationaux. On peut y ajouter 4 M de demandeurs d’asile en attente de statut…
    En 2022, le nombre de travailleurs migrants est estimé à 169 M et les rapatriements de fonds sont évalués à 700 Milliards de $ par an.
    L’Europe et l’Amérique du Nord sont les principales destinations des migrants, avec le Moyen Orient.
    En Europe, jusqu’aux années 2000, la France était le principal pays d’accueil de migrants, européens et non européens (Maghreb notamment).
    Au cours de la décennie 2010, ce sont l’Allemagne, le Royaume Uni, l’Italie et l’Espagne qui ont été les principaux pays d’accueil, mais la France continue d’accueillir plus de 250 000 migrants chaque année.
    Cela se traduit aujourd’hui dans les proportions d’immigrés dans la population totale :
    – Allemagne 17 %, Espagne 14 %, Royaume Uni 13%, France 12 %, Italie 10 %
    A titre de comparaison, on peut citer :
    – Etats Unis 13 %, Canada 21 %,
    – Arabie Saoudite 37%, Emirats Arabes Unis 85 %
    – Japon 2%, Thaïlande 5%
    La comparaison des deux vaincus de la 2ème guerre mondiale, l’Allemagne et le Japon, est intéressante. Leur population ne s’est pas renouvelée (peu de naissances) et a vieilli. Ces pays souffrent d‘une grave pénurie de main d’œuvre. Dans un cas, le recours à l’immigration (turque, Est européenne) a été massif (bas salaires), dans l’autre, le repli insulaire a longtemps bloqué l’immigration (mais a développé la culture des robots).
    Pour la France, il faut rappeler l’importance des anciennes colonies d’Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie), dont les flux de migrants restent importants aujourd’hui, même au regard des arrivées croissantes d’Afrique sub-saharienne (notamment des pays du Sahel).
    Au-delà des contentieux historiques non réglés, les capacités d’intégration sont en rapport avec la situation économique et sociale du pays d’accueil.
    Quand les difficultés s’aggravent (études, accès à l’emploi et au logement, minimas sociaux…), les inégalités, ségrégations et économies parallèles se développent, et des tensions apparaissent…
    En France, une partie de la population se sent aujourd’hui déclassée et s’inquiète des perspectives géopolitiques (islamisme, guerres…) et climatiques (décroissance, rationnement…).
    Dans ce contexte, en l’absence d’un sursaut de solidarité et de projet alternatif, les derniers immigrés sont des boucs émissaires tout trouvés pour expliquer :
    – les petits boulots de larbins sous-payés (livraisons, restauration…),
    – les HLM inaccessibles (autochtones non prioritaires),
    – les bouchons matins et soirs,
    – la taxe foncière qui augmente,
    – les incivilités, les violences dans la rue,
    – la justice et les prisons qui débordent,
    – et pourquoi pas, les violences policières…

    J’aime

  2. commentaire de Henri J. par mail

    accord total sur le fond, donc trois remarques de détail « pédagogiques » pour une meilleure argumentation encore :
    – la note sur intégration, assimilation, insertion mériterait sans doute plus qu’une simple référence par appel de note
    – le titre « le métissage, une nécessité » peut apparaitre un peu raide. Pas faux , la note renvoyant à Evelyne Heyer le montrant bien. Mais est-ce que celle-ci utilise le terme de « métissage » ? Lequel renvoie sans doute à un autre aspect pas seulement biologique, que recouvre aussi en partie autrement le terme de « créolisation » (Edouard Glissant…)
    – L’idée de Convention citoyenne sur lequel tu conclus me parait une excellente idée. Mais la critique fondée sur les suites de celle sur le climat en amoindrit peut -être la référence. Voyons aussi les résultats de celle sur la fin de vie qui s’est mieux engagée, avec la prudence de ne pas annoncer que ses conclusions seront reprises « sans filtre » comme cela avait été dit par Macron pour le climat.

    J’aime

  3. Nos politiques seraient bien inspirés d’écouter ces associations que tu as citées, ainsi que Claire Hédon une défenseuse des droits qui dans d’autres domaines a aussi des positions et des recommandations claires, empreintes de rigueur (dans le bon sens du terme !) et d’humanité (par exemple sur le traitement des personnes âgées en EHPAD).
    Il y a encore un travail d’information et de formation considérable à faire pour que l’étranger, l’autre, ne soit pas systématiquement considéré comme un danger potentiel. Ce qu’ont vécu les italiens, puis les algériens, et d’autres… montrent à quel point la tentation du rejet est forte, violente même, ce qui a souvent engendré des conflits familiaux, pas toujours apaisés avec le temps, lors de mariages mixtes, mixité des unions qui n’est pas toujours mieux admise par les familles immigrées….
    Reconnaitre que l’on a des origines étrangères peut peut-être devenir une forme de « snobisme » mais je considère avant tout que c’est une forme d’affirmation de la diversité de nos origines, de la richesse que cela sous-tend et de la force morale que cela représente de la part de celles et ceux qui ont quitté leur pays pour se construire ou reconstruire ailleurs…sans filet de protection et parfois dans une grande solitude.

    J’aime

  4. Commentaire d’Anouk T. (par mail) master 2 « Droit européen des droits de l’Homme »

    J’apporte quelques précisions
    Concernant d’abord la protection actuellement accordée aux ressortissant.es ukrainien.nes, j’ose une « rectification sémantique ». En réalité, on ne parle pas de « droit à » la protection temporaire. Il s’agit d’un statut assez spécifique issu de l’Union européenne comme tu l’as bien expliqué (page 9) et qui existe en effet depuis 2001 via une directive UE. La grande spécificité de cette protection est qu’elle exempte les bénéficiaires d’un examen individuel de leur situation, à l’inverse de toutes les autres protections qui existent en France.
    Elle a été déployée pour la première fois en mars 2022 et elle prévoit un droit au séjour temporaire automatique pour toutes les personnes qui vivaient en Ukraine (résidence habituelle) avant l’invasion russe (24/02/2022). Ce dispositif ne facilite pas « l’obtention rapide d’un titre de séjour et l’accès à une aide financière (…) » mais constitue en lui-même un droit au séjour limité dans le temps. Plus précisément, toute une catégorie de personnes déterminée (en l’espèce : venant d’Ukraine) vont pouvoir séjourner dans les pays de l’UE régulièrement et bénéficier de certains droits sociaux sans passer par la très longue et incertaine procédure d’asile. En revanche, en principe, cette protection prendra fin au jour où les Etats membres de l’Union estimeront que le conflit ne met plus en danger la vie des civil.es.
    Je te rejoins sur tes interrogations concernant la capacité des pays européens à déployer ce genre de mécanisme d’accueil de grande ampleur et sur le fait que la protection temporaire soit prévue depuis plus de 20 ans mais qu’elle n’ait jamais été déployée avant, malgré les nombreux conflits ayant éclaté depuis 2001. On peut y voir différentes raisons (explicables mais pas justifiables) :
    – On pense d’abord à une action communautaire des pays européens avec comme réelle finalité « d’atteindre » V. Poutine. Si cet accueil massif relève d’une « aide humanitaire », on imagine bien qu’il y a aussi une volonté de « sanctionner » la Russie d’une manière indirecte.
    – Deuxièmement, les contours mêmes de la protection temporaire peuvent expliquer (sans justifier encore une fois) pourquoi elle n’a jamais été mise en place avant. C’est assez compliqué à imaginer pour les pouvoirs publics d’accorder un droit de séjour à une personne sans passer par un examen individuel de sa situation. Toute la procédure d’asile est basée là-dessus : se voir accorder une protection car on éprouve une crainte grave et personnelle de subir une persécution. La protection temporaire prévoit l’accueil sur simple présentation d’une preuve de son séjour en Ukraine, et dans l’imaginaire collectif c’est une situation qui n’est pas vouée à durer.
    Le problème réside donc principalement dans le racisme des pouvoirs publics et de la société civile et dans les choix diplomatiques. Pour beaucoup, les pays du Proche et Moyen Orient vivent des guerres et des crises continues depuis une trentaine d’années. Malheureusement, on sait qu’une telle aide ne sera jamais acceptée pour les populations afghanes, maliennes, syriennes etc, que ce soit politiquement, juridiquement ou surtout vis à vis de l’opinion publique (surtout compte tenu de l’information plus que lacunaire et erronée diffusée dans certains médias).

    Deuxième précision : à propos du titre de séjour pour « métier en tensions ». C’est une proposition qui clive beaucoup. Elle semble être là pour tenir la promesse d’une réforme « de droite et de gauche » mais en réalité elle n’est pas satisfaisante non plus. Comme tu l’expliques, l’objectif serait de régulariser le séjour de personnes étrangères qui œuvrent dans des secteurs en tensions. Plus précisément, il a été évoqué d’accorder un titre de séjour pour les personnes présentes en France depuis plus de 3 ans, et qui pourrait justifier de 8 mois d’exercice dans une de ces professions. Ca ne va certainement pas rester en l’état, mais le fait est que ça ne représente pas tant de personnes et que pour les étranger.ères concerné.es, il va être extrêmement compliqué de justifier que ces conditions sont remplies. Quand on séjourne et travaille irrégulièrement en France, on a généralement pas de papiers ou de preuves. Et ce, sans parler du fait que les « secteurs en tension » n’ont pas encore été définis, mais que les pistes données pour l’instant concernent des métiers pour lesquels l’accès est majoritairement réservé aux hommes…

    J’aime

Laisser un commentaire