Robert Badinter : “non à une justice qui tue”

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olympe de gouges 1793

La justice ce n’est pas la loi du Talion

Est-ce étrange de débuter un hommage à Robert Badinter en faisant mention de la condamnation à mort de la rebelle et féministe Olympe de Gouges il y a plus de deux siècles ? À mon avis pas vraiment, on retrouve en effet dans ces deux images la plupart des problématiques posées par Robert Badinter, Garde des sceaux en 1981 (jusqu’à février 1986), mais aussi grand militant pour les droits de l’Homme tout au long de sa vie. S’il avait été avocat en 1793 pendant la Terreur, je suis certain qu’il aurait pris la défense non seulement d’Olympe de Gouges et obtenu sa grâce, mais également des nombreuses personnes condamnées à mort de façon expéditives par une justice qui n’en était pas une.

Déjà, il aurait dénoncé les propos étonnants de son collègue avocat Pierre Gaspard Chaumette qui, bien que luttant sans relâche pour l’abolition de l’esclavage et de nouveaux droits sociaux, n’était manifestement pas partisan de l’égalité des femmes et des hommes ! Acteur de la Terreur, Chaumette en fut pourtant lui-même victime en avril 1794 !

Puis, dans un remarquable discours à la Convention nationale (l’assemblée constituante), Robert Badinter aurait condamné une « justice qui tue », telle celle de la Terreur, en soulignant sa signification totalitaire qui ne peut être celle d’un pays de liberté : « Cette justice d’élimination, nous la refusons parce qu’elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l’humanité » [discours à l’Assemblée nationale, 17 septembre 1981].

Enfin, il aurait aimablement fait remarquer à Olympe appelant à la vengeance, que la justice ne peut être fondée sur « la loi du Talion«  qui attise « l’angoisse collective, la peur et favorise la confusion ». Et qu’il est « impossible de reconnaître à la justice des hommes un pouvoir de mort parce qu’ils savent qu’elle est faillible » [R. Badinter, op.cit].

Et pour conclure, il aurait demandé, à nous citoyens, comment douze hommes et femmes peuvent mesurer en quelques heures la culpabilité d’un être humain et, au-delà, décider de sa vie ou de sa mort ? « Douze personnes, dans une démocratie, qui ont le droit de dire : celui-là doit vivre, celui-là doit mourir ! Je le dis : cette conception de la justice ne peut être celle des pays de liberté […] Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible » [R. Badinter, op.cit].

Lors des élections de 1981, présidentielle et législatives, l’abolition de la peine de mort était clairement indiquée dans le programme de la gauche : proposition 53 (sur 110) du Manifeste du Parti socialiste, les électeurs et les électrices étaient donc censés savoir à quoi ils s’engageaient en votant pour la gauche. Pourtant les sondages de l’époque montrent que l’opinion était nettement favorable au maintien de la peine de mort : 61% en 1980 ; avant de voter des électeurs n’auraient-ils pas pris le temps de lire le programme des candidats jusqu’au point 53, ou bien cette question n’était-elle pas à leurs yeux une priorité ? Depuis ce pourcentage tend à la baisse mais reste majoritaire : 51% en 2023

sondages peine de mort_2

1981 abolition de la peine de mort en France : rôle des Parlements

1981 est une année électorale triomphale pour la gauche, tout particulièrement pour le Parti socialiste,

BADINTER-ABOLITION-PEINE DE MORT

qui, outre la présidence de la République, obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale : 266 sur 491 députés (dont seulement 29 femmes soit 6% !) ; à cette majorité s’ajoutent 44 députés communistes et 23 divers gauches. Donc une majorité confortable qui ne laissait aucun doute sur l’approbation du projet de loi « portant abolition de la peine de mort », présenté par le gouvernement de Pierre Mauroy (Premier ministre), le 2 septembre : « Un pays épris de libertés ne peut, dans ses lois, conserver la peine de mort. C’est un impératif pour la liberté que de n’accorder à quiconque un pouvoir absolu tel que les conséquences d’une décision soient irrémédiables. C’en est un autre que de refuser l’élimination définitive d’un individu, fût-il un criminel. Une justice qui se dérobe à cette double exigence avoue son impuissance et réduit son influence civilisatrice. La peine de mort entérine une faillite sociale ; son abolition répond à un principe éthique » [exposé des motifs, extrait)

À l’Assemblée nationale ce projet, déjà largement approuvé par la commission des lois, est débattu les 17 et 18 septembre (compte-rendu intégral) sans qu’il y ait véritablement d’enjeux, les positions de chacun étant déjà connues et personne n’envisage un seul instant de modifier son choix après avoir entendu d’autres raisonnements ! Ce qui fait que le “débat”, qui n’en est pas vraiment un, sert surtout de chambre d’enregistrement permettant à chaque groupe politique de conforter ses arguments en espérant  que les médias en feront mention pour être entendu par ses électeurs dont il est fréquemment fait mention par les différents orateurs. La droite, toutefois pas vraiment unanime, dépose des amendements tout en sachant qu’ils n’aboutiront pas, et ne cesse de rappeler qu’il ne faut pas oublier les victimes de crimes odieux justifiant la peine de mort : « Vous n’avez pas eu un mot pour les victimes ! C’est scandaleux ! » [Robert-André Vivien, député RPR]. Et la gauche ne cesse de rappeler qu’elle a été élue très majoritairement pour, entre autres, promouvoir cette loi : « les membres du groupe socialiste et apparentés voteront le projet de loi, conformément à la démarche collective qui est la nôtre, dans le respect des engagements que nous avons pris devant les Françaises et les Français qui nous ont élus. Nous voterons ce projet de loi en prenant nos responsabilités, toutes nos responsabilités, sans hypocrisie, sans arrière-pensée, sans faux-fuyant procédural. » [Jean-Pierre Michel, député]

Et le 18 septembre au soir, la loi portant abolition de la peine de mort est solennellement adoptée par 363 députés dont 31 de la droite, soit 74% de l’ensemble du Parlement. Seules trois femmes sur 29 ont voté contre.

Au Sénat, où la majorité est nettement à droite : 186 (sur 304 sénateurs dont 9 femmes lors du débat, soit  3% !), l’approbation du projet de loi est loin d’être acquise : « À la veille du débat au Sénat, tout n’était que confusion, hormis la conviction générale que le texte serait rejeté. » [Robert Badinter, “Récit de l’examen du projet de loi” | Sénat, vingtième anniversaire de l’abolition de la peine de mort | octobre 2001]

Mais, afin d’éviter les navettes entre les deux chambres en cas de rejet du projet – « Cette éventualité me déplaisait, car elle donnerait à l’abolition le caractère d’une loi votée à l’arraché » [R. Badinter] – le gouvernement met tout en œuvre pour convaincre, avec évidemment Robert Badinter en première ligne. Son discours, le 28 septembre, est proche de celui qu’il a prononcé quelques jours plutôt à l’Assemblée nationale. La copie jointe ici en est un fac-similé, intéressant à parcourir car il indique comment il préparait méticuleusement ses interventions.

Déjà la commission des lois du Sénat « n’a pu déterminer une attitude claire et nette et […] at dû se résigner guillotineà se présenter devant le Sénat avec cette incertitude qui reviendra en définitive à ce qu’elle s’en remette à la sagesse de notre Haute Assemblée et aussi et surtout à la conscience de chacun de ses membres. » [Paul Girod, rapporteur | compte rendu des débats | 28 sept. 1981]. Ce qui mettait la pression sur l’ensemble des sénateurs qui engagèrent de longues discussions, y compris dans les couloirs ! « Plus que dans les discours qui se succédaient à la tribune, je percevais, lors des suspensions de séance, une animation singulière dans les couloirs et les salons velours et or du Sénat. De petits groupes animés se formaient, se défaisaient, des conciliabules se tenaient dans les embrasures. La buvette, haut lieu de la tradition républicaine, bruissait de rumeurs. De singulières affinités réunissaient des adversaires politiques qui partageaient les mêmes convictions sur l’abolition. La liberté de vote étant assurée, je voyais renaître en ces heures la République ! » [Robert Badinter, op.cit]

À la tribune des discours enflammés se succèdent et des sénateurs s’engagent très personnellement, tel le Radical Henri Caillavet (1914-2013) : « J’ai moi aussi poursuivi ma quête de vérité. J’ai été abolitionniste. Étudiant en droit, j’ai accepté avec enthousiasme de suivre certains de mes maîtres. Par la suite, j’ai hésité. En licence de philosophie, je fus l’élève de Vladimir Jankélévitch, et cet homme m’a troublé. Comme il est mon ami, je lui ai souvent rappelé que certains de mes choix étaient ainsi le reflet des siens (manifestement pas celui de la peine de mort, V. Jankélévitch en faisait “un sacrilège”). Puis la guerre, que j’ai faite, et la Résistance, à laquelle j’ai participé, m’ont alors permis de penser qu’il y avait un droit de nécessité et que nous avions parfois le droit de donner la mort. […]. Pour moi le souverain bien, c’est la vie, la communication avec les autres […]  Cependant, je suis favorable à la peine de mort. Au demeurant, lorsque j’ai déposé le premier texte sur l’interruption volontaire de grossesse, je n’avais nulle gêne, puisque je n’ai pas de philosophie religieuse, d’ancrage religieux. […] Pour moi, le responsable, c’est l’homme, qui doit supporter seul sa responsabilité et que la société a le droit de condamner. Cette discussion ne concerne d’ailleurs que quelques individus odieux, la peine de mort ne s’attache qu’à une poignée d’individus particulièrement détestables. […] La peine de mort a une valeur d’exemplarité : ou s’exécute parce que l’on sait que le pardon ne doit jamais être accordé, alors que nous, nous l’accordons dans presque toutes les circonstances. Je vous dis donc que les hommes, qui sont égaux devant la mort, doivent protéger cette égalité. Je ne comprendrais pas pourquoi seuls les assassins seraient assurés de ne jamais mourir. »

La gauche est certes minoritaire au Sénat, mais elle sait être passionnée et pourquoi pas convaincante : « Oui, notre société a une part de responsabilité dans la déviance de celui qui, d’homme, devient criminel. Et si nous acceptons l’idée qu’à l’origine il fut un être normal, pouvons-nous, en le tuant, lui retirer les droits d’évoluer en sens inverse ? Pouvons-nous renoncer à le voir redevenir un être normal ? […] Il faut laisser toujours une porte ouverte sur l’espoir. […] Le crime ne peut-il pas être aussi parfois de tuer le criminel ? [Cécile Goldet,1914-2019, P.S]

Et plus important encore, des sénateurs de droite font connaître leur accord avec le projet de loi, parmi eux :

  • Guy Petit (1905-1988, Indépendant) : « Au nom de quoi va-t-on tuer cet individu ? Au nom d’une société imparfaite qui s’arroge le droit de retrancher une vie humaine. C’est une des raisons essentielles pour lesquelles je suis hostile à la peine de mort. »
  • Pierre Vallon (1927-2016, UDF) « Nous devons extirper les racines du mal et nous attacher aux causes réelles de la criminalité : en prenant des mesures pour améliorer les conditions de vie, et prévenir ainsi la délinquance. Tâche difficile, à la limite du possible ! Mais, à mon avis, c’est la seule voie que puisse suivre un pays comme la France, fière de son long passé d’humanisme. C’est pourquoi je voterai l’abolition de la peine de mort. »
  • Georges Lombard (1925-2010, Indépendant) « L’affaire d’aujourd’hui est une grande affaire. Elle pose l’un des problèmes les plus graves qu’une société — je devrais dire une civilisation — a, par la force des choses, à résoudre un jour ou l’autre. Ce problème — vous l’avez parfaitement défini et je vous en rends hommage, monsieur le garde des sceaux — c’est celui de la signification de la vie, celui de la nature de l’homme. C’est aussi le problème de la foi que l’on met en l’homme, dont on n’a pas le droit de désespérer au point de n’avoir plus un jour qu’une solution, celle de l’élimination. » [compte rendu des débats]

Par tradition, un sujet de société, telle l’abolition de la peine de mort, ne contraint pas à une discipline de vote, chaque parlementaire peut alors voter en conscience. Et le projet est approuvé !

Le 30 septembre 1981 la loi portant abolition de la peine de mort  est adoptée par 161 sénateurs dont 56 de la droite, soit 53% de l’ensemble du Sénat. Les 9 sénatrices ont voté pour.

« L’article premier – La peine de mort est abolie – fut adopté par un scrutin public […]. Dès lors, la partie était jouée. Tous les amendements déposés par les adversaires de l’abolition furent retirés. C’est par un simple vote à main levée que la loi fut définitivement adoptée […] il était douze heures et cinquante minutes, ce 30 septembre 1981. Le vœu de Victor Hugo – « l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort » – était réalisé » [Robert Badinter, op.cit].

Et le 9 octobre 1981, le Président de la République, François Mitterrand, promulgue la loi N° 81-908 portant abolition de la peine de mort

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

  • Art. 1er.  La peine de mort est abolie.
  • Art. 2 La loi portant réforme du code pénal déterminera en outre l’adaptation des règles d’exécution des peines rendue nécessaire pour l’application de la présente loi.
  • Art. 3.  Dans tous les textes en vigueur prévoyant que la peine de mort est encourue, la référence à cette peine est remplacée par la référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime concerné.
  • Art. 4.  Les articles 12, 13, 14, 15, 16, 17 du code pénal et l’article 713 du code de procédure pénale sont abrogés.
  • Art. 5. – Le 1° de l’article 7 du code pénal est supprimé. Les 2°, 3°, 4° et 5° de cet article deviennent en conséquence les 1°, 2°, 3° et 4°.
  • Art. 6.  Les articles 336 et 337 du code de justice militaire sont abrogés.
  • Art. 7.  L’alinéa 1er de l’article 340 du code de justice militaire est remplacé par l’alinéa suivant :
    « À charge d’en aviser le ministre chargé de la défense, l’autorité militaire qui a donné l’ordre de poursuite ou revendiqué la procédure peut suspendre l’exécution de tout jugement portant condamnation ; elle possède ce droit pendant les trois mois qui suivent le jour où le jugement est devenu définitif. »
  • Art. 8. – La présente loi est applicable aux territoires d’outre-mer ainsi qu’à la collectivité territoriale de Mayotte.
  • Art. 9.  Les condamnations à la peine de mort prononcées après le 1er novembre 1980 seront converties de plein droit suivant la nature du crime concerné en condamnations à la réclusion criminelle à perpétuité ou en condamnations à la détention criminelle à perpétuité.
    Lorsqu’une condamnation a fait l’objet d’un pourvoi en cassation, les dispositions de l’alinéa précédent ne sont applicables qu’en cas de désistement ou de rejet du pourvoi.

La présente loi sera exécutée comme loi de l’État. Fait à Paris, le 9 octobre 1981.

  • Le Président de la République, François MITTERRAND.
  • Le Premier ministre, Pierre MAUROY.
  • Le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de la décentralisation, Gaston DEFFERRE.
  • Le garde des sceaux, ministre de la justice, Robert BADINTER.
  • Le ministre de la défense, Charles HERNU.

Constitution : “Nul ne peut être condamné à mort”

Il faut cependant attendre près de 25 ans  pour que la loi devienne fondamentale par son inscription dans la Constitution par vote du Congrès du Parlement le 23 février 2007, et ne puisse donc être abrogée en aucune façon.

« Voici un quart de siècle que la peine de mort était abolie en France ; voici vingt ans que l’abolition devenait en fait irréversible, avec la ratification par la France du sixième protocole de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui interdit aux États signataires de recourir à la peine de mort […]. Je veux, en cet instant, dire au Congrès ma conviction absolue : la peine de mort est vouée à disparaître de ce monde comme la torture, parce qu’elle est une honte pour l’humanité. Jamais, nulle part, elle n’a fait reculer la criminalité sanglante ; pire encore, elle transforme le terroriste en martyr ou en héros aux yeux de ses partisans. La peine de mort ne défend pas la société des femmes et des hommes libres, elle la déshonore ! Aussi refuserons-nous toujours et partout que, sous couleur de justice, la mort soit la loi. […] Que vive la vie ! C’est cela le sens du combat pour l’abolition de la peine de mort » [Robert Badinter, sénateur, Congrès du Parlement | 23 février 2007].

Le Congrès se déroule dans une grande sérénité car parmi les parlementaires, députés et sénateurs, il n’y a pratiquement plus d’opposants à l’abolition, mais pendant plusieurs années ce fut un chemin semé d’embuches avec de nombreuses tentatives de rétablissement : « de 1984 à 1995, 27 propositions de loi visant à rétablir la peine de mort ont été déposées au Parlement » [“Questions à Robert Badinter”, Vie Publique | 4 octobre 2021]

Le 23 février 2007, Congrès du Parlement approuve à une très large majorité la loi constitutionnelle abolissant la peine de mort : 97% des 854 députés et sénateurs présents ce jour ce jour-là.

Le Congrès a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : il est ajouté au titre VIII de la Constitution un article 66-1 ainsi rédigé : « Art. 66-1. – Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.

Fait à Paris, le 23 février 2007.
  • le Président de la République, Jacques Chirac
  • Le Premier ministre, Dominique de Villepin
  • Le garde des sceaux, ministre de la justice, Pascal Clément

La France, pays fondateur des droits de l’homme, a pourtant été le dernier de l’Europe occidentale à abolir la peine de mort. Le grand talent, la conviction et la persévérance de Robert Badinter ont été déterminants pour parvenir à convaincre une majorité de parlementaires sensibles aux réactions plutôt défavorables de leurs électeurs. Le Garde des sceaux (jusqu’en février 1986), puis président du Conseil constitutionnel (mars 1986-mars 1995) et enfin sénateur (sept. 1995-sept. 2011), a réussi à maintenir le droit  et la justice comme seules références dans le traitement des crimes quels que soient leur niveau de violence et leur cible, donc y compris es attentats terroristes.

Entre 1981 et 2007, le quart de siècle qu’il a fallu pour parvenir à ce que la “loi portant abolition de la peine de mort” s’inscrive dans la Constitution, peut s’expliquer par l’apparition sur le territoire français de plusieurs attentats meurtriers : rue Copernic août 1982, rue de Rennes septembre 1986, RER Saint Michel juillet 1995… Et chaque fois le retour à la peine de mort réapparaissait avec insistance dans l’opinion, des parlementaires ne manquant pas d’amplifier cette demande.

Résistants à cette pression, les “abolitionnistes” ont tenu bon, Robert Badinter se chargeant souvent de badinter_1981rappeler la teneur de ses discours en 1981 : « En vérité, la question de la peine de mort est simple pour qui veut l’analyser avec lucidité. Elle ne se pose pas en termes de dissuasion, ni même de technique répressive, mais en termes de choix politique ou de choix moral. […] Je sais qu’aujourd’hui et c’est là un problème majeur – certains voient dans la peine de mort une sorte de recours ultime, une forme de défense extrême de la démocratie contre la menace grave que constitue le terrorisme. La guillotine, pensent-ils, protégerait éventuellement la démocratie au lieu de la déshonorer. […] Le terrorisme est un crime majeur contre la démocratie, et a pour cri de ralliement, quelle que soit l’idéologie qui l’anime. le terrible cri des fascistes de la guerre d’Espagne : « Viva la muerte ! », « Vive la mort ! » Alors, croire qu’on l’arrêtera avec la mort, c’est illusion.
[…] Vous savez en effet, qu’aux yeux de certains et surtout des jeunes, l’exécution du terroriste le transcende, le dépouille de ce qu’a été la réalité criminelle de ses actions, en fait une sorte de héros qui serait allé jusqu’au bout de sa course, qui, s’étant engagé au service d’une cause, aussi odieuse soit-elle, l’aurait servie jusqu’à la mort. […] Ainsi, loin de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme. 
À cette considération de fait, il faut ajouter une donnée morale : utiliser contre les terroristes la peine de mort, c’est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. […] Les terroristes tendent à la démocratie le piège le plus insidieux, celui d’une violence meurtrière qui, en forçant cette démocratie à recourir à la peine de mort, pourrait leur permettre de lui donner, par une sorte d’inversion des valeurs, le visage sanglant qui est le leur. Cette tentation, il faut la refuser, sans jamais, pour autant, composer avec cette forme ultime de la violence, intolérable dans une démocratie, qu’est le terrorisme. » [discours à l’Assemblée nationale 17 sept. 1981]

Pour Robert Badinter la dénonciation de cette tentation du mépris de la vie que l’on retrouve et dans les actes terroristes et dans la peine de mort, a été une constante dans sa vie. Pour ne prendre qu’un exemple en janvier 2018, le Parlement israélien procédait à un premier vote d’un projet de loi en faveur de la peine de mort pour les terroristes. Robert Badinter réagissait rapidement : « Israël doit refuser la peine de mort. « Je le dis avec toute la force de mon cœur et de mon expérience d’homme et de juif qui vécut adolescent dans la France occupée par les nazis […] Que la vue des victimes innocentes du terrorisme suscite chez leurs proches douleur et fureur, rien de plus naturel. Que le désir de vengeance se lève en leur cœur bouleversé, rien de plus compréhensible. Mais la Justice ne se confond pas avec la vengeance. Elle la transcende. Il y a d’autres moyens de punir le coupable que de le mettre à mort. » [The Times of Israël | 14 janvier 2018].

La peine de mort aujourd’hui dans le monde

Alors qu’elle dénonçait avec force les excès de la Terreur, Olympe de Gouges fut condamnée à mort pour “attentat à la souveraineté du peuple”, si elle n’est pas dénommée “terroriste”, on n’en est cependant pas très loin ! Aujourd’hui en France, elle ne serait pas condamnée, mais il en irait sans doute tout autrement dans d’autres pays. En Iran par exemple : Sakineh Mohammadi Ashtiani, condamnée à mort par lapidation en 2006, peine commuée en plusieurs années de prison grâce à d’importantes réactions internationales ; Narges Mohammadi, emprisonnée en 2021 pour, entre autres, “non-respect du strict code vestimentaire islamique” et prix Nobel de la paix en 2023 [Le Monde | 1er novembre 2023]. Et en Afghanistan : Najiba, 22 ans, soupçonnée d’adultère et exécutée, “Nous ne pouvons lui pardonner. Dieu nous dit d’en terminer avec elle. Son mari, a le droit de la tuer. » [France Info | 9 juillet 2012].

Des situations que l’on devrait plus devoir évoquer, pourtant la peine de mort est encore bien réelle dans le monde. Robert Badinter, après avoir mis fin à son activité politique institutionnelle en 2011, a continué à militer mondialement (principalement Amnesty international et Ligue des droits de l’Homme) pour généraliser l’abolition. En 2023 où en est-on ? “Une tendance mondiale abolitionniste : Il y a un peu plus de 40 ans, en 1981 lorsque la France abolissait la peine capitale, deux tiers des États du monde pratiquaient encore régulièrement la peine de mort. Aujourd’hui, cette tendance s’est inversée : avec plus de 60 % d’États abolitionnistes, l’abolition universelle se concrétise d’année en année.” [Ensemble Contre la Peine de Mort]. Robert_Badinter,_2007Il reste cependant du chemin à faire…

“Il est indubitable que des progrès constants, voire considérables dans certains États ont été réalisés… En tant qu’abolitionnistes, nous sommes devenus largement majoritaires dans les organes internationaux, puis dans les États les uns après les autres. Le nombre de nations abolitionnistes continue d’augmenter… Néanmoins, ne nous laissons pas emporter par l’euphorie et ne supposons pas que les choses avanceront très vite d’elles-mêmes. En effet, lorsque nous analysons la situation internationale avec lucidité, il apparaît clairement que de grandes puissances, parmi les plus dominantes du monde, continuent de soutenir la peine de mort ou de la conserver dans leur arsenal législatif.” [Robert Badinter, Président d’honneur d’ECPM]


Pour compléter

  • Amnesty international, « En 2021, à l’occasion des 40 ans de l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter nous avait raconté le combat de sa vie » | à regarder
  • Amnesty international, “Condamnations à mort et exécutions”, rapport mondial | 2022
  • Robert Badinter, « Vers un monde plus sûr » | Institut français des relations internationales | 2005 | rapport
  • Delphine Chalus, « Quel intérêt à l’abolition constitutionnelle de la peine capitale en France ? » | revue française de droit constitutionnel N° 71 | 2007
  • Conseil de l’Europe, “Protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances” | mai 2002
  • Vladimir Jankélévitch, “Penser la mort ?”, 2e éd. présentation par Hélène Houde | Frontières | 2008
  • Vladimir Jankélévitch, “En l’an 3000, beaucoup de pratiques inhumaines auront disparu. La femme ne sera plus utilisée comme joujou et instrument de plaisir, la peine de mort sera abolie depuis longtemps en tous lieux et on se demandera même comment la mort légale a pu être inscrite dans les codes”, entretien par Robert Maggiori | Le Monde | 13 juin 1978
  • Nicolas Rouger, « Israël : la peine de mort fait un retour controversé à l’agenda législatif dans le sillage du massacre du 7 octobre » | Libération | 20 novembre 2023
  • Tenture Olympe de Gouges de Jacques Fadat

tenture olympe de gouges

La tenture Olympe de Gouges est une Suite de 17 tapisseries d’Aubusson mettant en lumière les 17 articles de la “Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne” rédigée en 1791 par Olympe de Gouges et rendant hommage à 17 femmes qui, depuis la Révolution française, par leur rayonnement, ont laissé une empreinte dans la mémoire universelle.

Les 17 femmes :

Lucie Aubrac, Joséphine Baker, Sarah Bernhardt, Camille Claudel, Marie Curie, Alexandra David-Néel, Françoise Dolto, Olympe de Gouges, Marie Marvingt, Louise Michel, Berthe Morisot, George Sand, Simone Signoret, Madame de Staël, Germaine Tailleferre, Louise Weiss, Marguerite Yourcenar.